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L'Escholier de Dieu
Traduit par Jean-Pierre Carasso
et Monique Baile
Etudiant à la Sorbonne avant de devenir l'espion du Roi du Danemark, le destin du jeune catholique Mikaël l'emmène au cur d'une forêt allemande où il rencontre une "guérisseuse " qui va définitivement l'ensorceler avec ses potions. Mais en 1520, le Vatican veille, et le jeune homme découvre le visage le plus cruel de l'Eglise.
Écure par Rome et ses méthodes barbares, Mikaël se joint alors aux paysans révoltés allemands, rencontre un certain Luther et assiste en témoin privilégié de l'Histoire à la naissance du protestantisme. Et c'est en compagnie du médecin Parcelse que le destin va lui permettre de venger sa femme. Après Sinouhé l'Egyptien et L'Etrusque, le grand écrivain Mika Waltari nous plonge dans le XVIe siècle de l'Inquisition et des guerres de Charles Quint, siècle qui allait être à jamais divisé par la naissance du protestantisme.
Purement éblouissant.
ISBN 2-914569-28-9 EAN 8782-914569-286
HISTORIQUES
CHARLES QUINT ( 1500-1558 ) Fils de Philippe le Beau, archiduc d'Autriche, et de Jeanne la Folle, fille des rois catholiques, Ferdinand et Isabelle. Héritier en 1516 de la couronne d'Espagne, il est élu en 1519 à la tête du Saint Empire romain germanique contre François 1e1 le roi de France. La rivalité de ces deux souverains entraînera une longue série de guerres, interrompue à intervalles plus ou moins longs, par des périodes de trêves ou de paix. En Allemagne, Charles Quint eut à lutter contre la Réforme et contre les Turcs du côté de la Hongrie. Il abdiqua en 1555, laissant la couronne impériale à son frère Ferdinand, l'Espagne, les colonies américaines, les Pays-Bas et l'Italie à son fils Philippe II.
CHRISTIAN II DE SUÈDE ( 1481-1559 ) Surnommé le Mauvais, roi de Danemark, de Norvège et de Suède. En 1513, il succède à son père sur les trônes de Danemark et de Norvège. Après plusieurs années de guerre, il s'empare de Stockholm et prend la couronne de Suède, mais sa cruauté ( « Bain de sang » de Stockholm ) provoqua le soulèvement de Gustav Vasa en 1521. Abandonné par l'aristocratie danoise, il se retira en Allemagne en 1523 et fut pris par son successeur Frédéric Ier en 1531. Il mourut en captivité.
ÉRASME ( Desiderius Erasmus ). Rotterdam vers 1467 - Bâle 1536. Humaniste hollandais. Études au couvent des Augustins de Steyn où il fut ordonné prêtre, puis au collège Montaigu à Paris. Précepteur en Angleterre, il se lie d'amitié avec Thomas More. Entre 1500-1506 : Les Adages et le Manuel du chevalier chrétien. Entre 1506-1509, séjour en Italie où il apprend le grec. Éloge de la folie. Aux Pays-Bas, conseiller un temps du futur Charles Quint. Ecrit Institutio principis christiani, un Novum testamentum et les Colloques. En 1521, s'établit à Bâle. Essai sur le libre arbitre et De sarcienda Ecclesiae concordia. A cherché à concilier l'étude des Anciens et les enseignements de l'Évangile.
FUGGER Famille de banquiers allemands qui débute avec le tisserand jean vers 1368. Les Fugger connaissent un essor particulier avec Jacob Ier Fugger qui étendit son empire commercial sur toute l'Europe occidentale et centrale. Financier des empereurs Maximilien et Charles Quint; ce dernier lui doit, entre autres, son élection et la victoire de Pavie.
FRANÇOIS Ier ( 1494-1547 ).
LUTHER MARTIN ( 1483-1546 ) Réformateur religieux allemand. Famille de paysans. En 1505 maître de philosophie à l'université d'Erfurt. Reçoit la prêtrise en 1507. En 1517 il afficha sur les portes du château de Wittenberg ses 95 thèses où il dénonçait, entre autres choses, la vente des indulgences. Cet acte marqua le début de la Réforme. En 1520, il fut excommunié par le pape Léon X dont il brûla la bulle Exsurge Domine. En 1521, il fut mis au ban de l'Empire et son protecteur Frédéric de Saxe le cacha dix mois au château de la Wartburg où il entreprit la traduction en allemand de la Bible. Contre les prophètes célestes marqua sa rupture avec Thomas Müntzer et lorsque éclata la révolte des paysans en 1524, il prit le parti des princes. En 1525, il épousa une ancienne nonne, Elisabeth von Bora. A partir de 1526, il se consacra à l'organisation de l'Église réformée et rédigea le Grand et le Petit Catéchisme.
MÜNTZER THOMAS ( 1490 ? - 1525 ) Réformateur religieux allemand. Successivement prédicateur à Zwi-ckau, Wittenberg et Allstedt avant d'être chassé de chacune de ces villes. En 1519, il rencontra Luther, approuva la Réforme mais trouva bientôt la doctrine de Luther insuffisante. A Mülhausen, en Thuringe, il prit le pouvoir avec ses disciples, établit un gouvernement démocratique, noua des relations avec les anabaptistes de Suisse puis parcourut l'Allemagne méridionale en prêchant la révolte. Il fut bientôt à la tête d'une armée de plus de 40.000 paysans mais ses bandes furent écrasées par l'armée des princes à Frankenhausen en 1525. Reconnu et arrêté, il fut torturé et décapité cette même année.
PARACELSE - Philippus Aureolus Theophrastus Bombastus von Hohenheim - ( 1493 ?-1541 ) Médecin et alchimiste suisse.
STURE Nom d'une famille suédoise qui a joué un rôle capital dans l'histoire de son pays au XVe et au XVIe siècle.
STEN STURE, dit le jeune ( 1493-1520 ) Élu régent en 1512, il déposa l'archevêque d'Uppsala, Gustav Trolle, qui appela les Danois à son secours. Il repoussa deux expéditions danoises ( victoires de Vaedla en 1517 et de Brannkyrka en 1518 ) mais blessé à Asunden en 1520, il ne put arrêter la marche victorieuse de Christian II et mourut en regagnant Stockholm.
VASA Vieille famille suédoise originaire de l'Upland où elle possédait le domaine de Vasa. Gustav Vasa roi de Suède ( 1496-1560 ). Gustav Eriksson combattit les Danois. Livré en otage à Christian II en 1518, il réussit à s'échapper et, après de nombreuses aventures, s'empara de tout le pays et fut élu roi en 1523. A imposé le luthéranisme, favorisé le développement économique de la Suède, réprimé durement les révoltes paysannes et fait de son royaume une grande puissance.
ZWINGLI ( 1484-1531 ) Réformateur suisse. Études d'humaniste à Bâle, Berne et Vienne. Prédicateur à Zurich, il attaqua le pape, les lois de l'Église catholique et sa corruption. Il adhéra à la Réforme mais ses positions diffèrent de celles de Luther. Chef religieux soutenu par ses paroissiens et le Conseil de Zurich, il entreprit deux campagnes contre les cantons catholiques. Mortellement blessé à la deuxième bataille de Cappel, il fut achevé d'un coup d'épée par un officier ennemi, et son cadavre fut écartelé et brûlé par les soldats.
LES PAPES par ordre chronologique
JULES II ( 1443-1513 ), pape de 1503 à 1513. Amoureux des arts et guerrier. Allié à Louis XII contre Venise en 1508 puis à Venise contre Louis XII dans la Sainte Ligue où il fit en outre entrer les Suisses, Ferdinand d'Aragon, Henri VIII d'Angleterre et l'empereur Maximilien. Réunit le concile du Latran en 1512 et jeta l'interdit sur la France gouvernée par François Ier.
LÉON X ( 1475-1521 ), pape de 1513 à 1521. Jean de Médicis, fils de Laurent le Magnifique. Éducation humaniste qui en fit un protecteur des lettres et des arts ( Raphaël, Michel-Ange... ) En politique, tente comme Jules II de libérer l'Italie et le domaine pontifical. Au point de vue religieux, met fin en 1517 aux conciles du Latran. Excommunie Luther en 1520 par la bulle Exsurge Domine que celui-ci brûle à Wittenberg.
ADRIEN VI ( 1459-1523 ), pape de 1522 à 1523. Élu pape en 1522 malgré son origine flamande et son humble extraction, grâce à l'appui de Charles Quint. Il essaya sans succès de réformer le Saint-Siège, d'arrêter en Allemagne les progrès de Luther, de réconcilier Charles Quint et François Ier et de les unir dans une expédition commune contre les Turcs. Il mourut en considérant son accession au pouvoir suprême comme le plus grand malheur de sa vie.
CLÉMENT VII ( 1478-1534 ), pape de 1523 à 1534. Jules de Médicis, fils naturel de Julien de Médicis et neveu de Laurent le Magnifique. Après le sac de Rome ( 1527 ) il dut couronner Charles Quint empereur. Sous son pontificat, le luthéranisme progressa considérablement et il vit naître le schisme anglican après son refus d'approuver le divorce d'Henri VIII d'Angleterre.
LES GUERRES D'ITALIE
Ensemble des expéditions et conflits dont l'Italie a été l'enjeu et le plus souvent le théâtre de 1494 à 1559, dont la France, d'une part, et l'Empire avec l'Espagne d'autre part, ont été les acteurs principaux.
1494-1521, première période qui comprend les différents essais de conquête par la France du royaume de Naples et du Milanais. Charles VIII et Louis XII se battent ou s'allient avec le pape Jules II, l'Autriche et Ferdinand d'Aragon.
Victo
FINLANDE
Au XIIIe siècle, la Finlande devint un duché suédois dont l'indépendance et le particularisme se développèrent. A partir du XIVe siècle, l'assimilation légale à la Suède était quasi complète. Une noblesse suédoise formait les cadres du pays tandis que les villes accueillaient nombre d'Allemands. Le XVIe siècle vit l'apparition de la Réforme sous le règne de Gustav Vasa qui fonda Helsinki ( 1550 ) et confisqua les biens ecclésiastiques.
UNION DE KALMAR
Traité d'union entre le Danemark, la Suède et la Norvège signé en 1397 sous l'autorité d'Erik XIII de Poméranie. Chacun des États gardait ses lois et ses institutions propres mais était dominé par un même roi et en cas de guerre étrangère, tous devaient s'allier contre l'ennemi commun. Cette union dura 125 ans. Plusieurs fois rompue, elle fut dissoute en 1523 à la suite de la révolution qui renversa Christian II et apporta au trône de Suède Gustav Vasa.
LIVRE I
MIKAEL BAST : KARVAJALKA
J'ai vu le jour dans une belle et vaste contrée, une contrée lointaine presque ignorée du monde civilisé, à laquelle les géographes ont donné le nom de Finlande. Les gens du Sud imaginent que cette terre nordique est une terre déserte et inhospitalière, uniquement peuplée de sauvages vêtus de peaux de bêtes et encore esclaves du paganisme et de la superstition. Il ne saurait y avoir idée plus erronée! La Finlande se flatte de posséder deux grandes cités: à l'est la ville fortifiée de Viborg, et au sud Turku, ou Åbo, ma ville natale. En ce qui concerne le paganisme et la superstition, il ne faut point oublier que la Finlande a vécu durant de longs siècles dans le sein de l'Église unique et véritable, même si en ces jours maudits l'on peut avec raison accuser son peuple d'apostasie. Car le pays, converti à la doctrine de Luther sous la férule impitoyable de son roi, le cupide Gustav, est devenu la brebis égarée du troupeau de la Chrétienté il n'y a guère dès lors à s'étonner que ses fils soient retombés dans la sauvagerie, l'ignorance et le péché. Mais ne devrait-on point en rejeter la faute sur ses mauvais chefs plutôt que sur les malheureux qu'ils gouvernent?
La Finlande est loin d'être un pays pauvre. Ses forêts regorgent de gibier et la pêche au saumon, que l'on pratique tout au long de ses rivières, rapporte de bons bénéfices. La bourgeoisie d'Åbo se consacre activement au commerce maritime et, sur la côte de Bothnie, les chantiers navals sont florissants. Le bois de construction abonde et Åbo exporte, outre le poisson salé, les peaux et les bols habilement travaillés dans le bois, des lingots de fonte en provenance des mines de la région intérieure des lacs. Le négoce du poisson séché et des harengs salés en caques constitue une si riche source de revenus que le pays ne pourra longtemps se permettre de s'abuser d'une fausse doctrine qui ne tient aucun compte des jours maigres, dont l'observance rigoureuse, selon les ordonnances de la sainte Église catholique, est essentielle à la prospérité d'un grand nombre de nos pieux citoyens.
Si je me suis montré aussi bavard au sujet de mon pays natal, c'est afin que nul n'ignore que je ne suis en rien un barbare.
Lorsque j'étais âgé de six ou sept ans, vers la fin de l'été, l'amiral jyllandais Otto Ruud remonta la rivière pendant la nuit, à l'insu des sentinelles endormies de la forteresse d'Åbo, et déclencha à l'aube une attaque surprise sur la cité. Cet affreux événement eut lieu en l'an de grâce 1509, cinq ans à peine avant la béatification de saint Hemming; j'ai donc probablement vu le jour en 1502 ou 1503.
Il me souvient encore de mon réveil: j'étais couché entre des draps de fine toile de lin, sous une couverture de fourrure, et un grand chien me léchait le visage; quand j'éloignai de moi son museau, l'animal joyeux saisit délicatement ma menotte dans sa gueule comme pour m'inviter à entrer dans le jeu. Beaucoup plus tard, j'ai souvenir d'une femme mince vêtue de gris qui s'approcha de ma couche en m'observant de ses yeux gris et froids; elle vint ensuite m'apporter une soupe. Comme je croyais avoir franchi les portes de la mort, grand fut mon étonnement à constater que cette créature était dépourvue d'ailes.
- Suis-je en paradis? demandai-je avec timidité.
Elle me palpa les mains, la gorge et le front. Sa paume était rêche comme du bois.
- As-tu toujours mal à la tête? s'enquit-elle.
Je portai les mains à mon front et m'avisai qu'il était bandé négation, ce mouvement déclencha dans ma nuque une douleur aiguë.
- Comment t'appelles-tu? interrogea la femme.
- Mikaël! répondis-je sur-le-champ.
Je connaissais bien ce nom que l'on m'avait donné en baptême en l'honneur du saint archange.
- Qui est ton père?
Je ne pus répondre sur le moment, mais finis par dire:
- Mikaël, le fils du ferblantier. Suis-je au ciel pour de vrai?
- Mange ta soupe! intima-t-elle sèchement avant d'ajouter: Je vois... tu es l'enfant de Gertrude, la fille de Mikaël...
Elle s'assit au bord du lit et d'un geste plein de douceur passa sa main sur ma nuque endolorie.
- Moi, je suis Pirjo Matsdotter de la famille Karvajalka1. Tu es ici chez moi et je te soigne depuis plusieurs jours.
Je me souvins alors des Jyllandais et de tout ce qui s'était passé je perdis tout appétit pour la soupe.
- Êtes-vous sorcière? demandai-je.
Elle se leva en se signant.
- Ainsi voilà ce que l'on raconte derrière mon dos, n'est-ce pas? dit-elle sur un ton courroucé. Puis, se reprenant, elle ajouta: Mais non, je ne suis pas sorcière! Je suis une femme qui guérit les malades et si Dieu et ses saints ne m'eussent point octroyé ce don de guérir, toi et beaucoup d'autres encore eussiez péri en ces jours de malheurs!
Bien que gêné par mon ingratitude, je ne pouvais lui en demander pardon parce que je savais qu'elle était véritablement la fameuse sorcière d'Åbo, celle de la famille des Karvajalka.
- Où sont les Jyllandais?
Elle me conta alors qu'ils avaient repris la mer quelques jours auparavant, emmenant captifs les prêtres, les bourgmestres, les conseillers et tout ce que la ville comptait de riches citoyens. Åbo n'était plus que misère: les Jyllandais, qui au cours des précédents étés avaient acheté les plus beaux navires de nos bourgeois, venaient à présent de mettre à sac jusques à notre cathédrale, s'emparant de ses trésors les plus précieux. J'étais dans la cabane de Pirjo depuis une longue semaine, grièvement blessé et en proie à une forte fièvre.
- Mais comment suis-je arrivé ici? demandai-je encore.
Et, tandis que je la regardais fixement, j'eus soudain l'impression que sa tête devenait celle d'un cheval bonasse; cependant je n'en conçus nulle crainte, car je savais bien que les sorcières peuvent à leur gré changer de forme. Le chien s'approcha en remuant la queue et quand il passa un coup de langue sur ma main, Pirjo reprit son premier aspect. Je n'avais dès lors plus aucun doute au sujet de sa sorcellerie, mais mon coeur, je ne saurais dire pourquoi, était pénétré de confiance en elle.
- Vous avez une tête de cheval ! dis-je d'une petite voix.
Ces paroles la touchèrent, car elle avait cette vanité propre à toutes les femmes même lorsque le charme de leurs jeunes années s'est enfui depuis bien longtemps. Elle poursuivit néanmoins son récit. Elle me raconta comment elle-même avait échappé au massacre en donnant des soins à un capitaine de navire jyllandais qui, dans sa hâte du pillage, avait sauté le premier sur le rivage et s'était foulé la cheville. Trois jours après cet événement, l'un des envahisseurs m'avait apporté chez elle, lui payant trois monnaies d'argent pour qu'elle s'occupât de guérir mes blessures. Sans doute le désir d'expier ses fautes lui inspira-t-il cet acte charitable; nombre d'envahisseurs, en effet, éprouvaient quelques remords de conscience après le pillage de la cathédrale. A la description qu'elle me fit de cet homme, je reconnus en lui le meurtrier de mes pauvres grands-parents.
Lorsque dame Pirjo eut achevé le récit de mon arrivée dans sa demeure, elle dit en guise de conclusion
- J'ai ôté le sang de ta chemise et tes braies sont pendues dans la buanderie. A présent tu peux t'habiller et partir où bon te semble. Pour moi, j'ai tenu ma parole et les soins que je t'ai prodigués valent bien davantage que trois malheureux thalers!
Il n'y avait rien à répondre, aussi je m'habillai et sortis de la maison. Dame Pirjo ferma la porte, puis s'en fut visiter les malades et les blessés qui n'avaient pas été transportés au monastère ou à la maison du Saint-Esprit parce qu'ils préféraient, s'ils devaient mourir, rendre l'âme sous leur propre toit. Je m'assis au soleil sur une marche de l'entrée, mes jambes encore flageolantes du fait de ma maladie, et restai là à contempler l'herbe grasse et les plantes étranges que l'été avait fait croître dans le jardin. Le chien vint se coucher près de moi et, parce que je ne savais où aller, je passai mes bras autour de son cou et fondis en larmes amères.
C'est ainsi que dame Pirjo me trouva lorsqu'elle revint à la nuit tombée. Elle se contenta d'abaisser sur moi un regard irrité par-dessus son épaule, avant de pénétrer dans sa demeure. Peu après, elle m'apporta un quignon de pain.
- On a déjà jeté dans la fosse commune les parents de ta défunte mère, en compagnie de tous les malheureux occis par les Jyllandais. La ville entière est sens dessus dessous et nul ne sait par où commencer pour que la situation se rétablisse; cependant les corneilles croassent sur le toit de ta maison.
Voyant que je ne comprenais goutte à ses propos, elle m'expliqua:
- Tu n'as plus de foyer, mon pauvre petit, et tu ne peux avoir droit à l'héritage puisque ta mère n'avait point de mari. Le monastère a pris possession de la maison et des terres y attenant, d'après une promesse verbale faite par Mikaël Mikaëlsson et son épouse pour le salut de leur âme.
Il n'y avait là non plus rien à répondre. Plus tard, dame Pirjo revint encore près de moi et me mit trois pièces dans la main.
- Prends ton argent! dit-elle. Qu'il m'en soit tenu compte au jour du Jugement Dernier! C'est par pure pitié et non par souci de profit que je t'ai soigné, mon pauvre enfant... bien que peut-être eût-il mieux valu pour toi être mort! A présent, va-t'en! Pars d'ici!
Je la remerciai de ses bontés, donnai une caresse d'adieu au chien, et serrai les trois monnaies dans le pan de ma chemise. Puis, à grand-peine, je pris le chemin de ma maison. Tout en marchant le long du fleuve, je remarquai que l'on avait enfoncé les portes des riches demeures et dérobé les vitres des fenêtres de l'hôtel de ville. Personne ne prit garde à moi, les femmes des bourgeois étant bien trop affairées à récupérer leurs bêtes affolées que l'on venait de ramener de leurs cachettes au fond des bois; quant aux gens du voisinage, ils se trouvaient occupés à fureter dans les maisons désertes pour sauver tout ce qui pouvait encore servir avant que cela ne se perde ou ne tombe aux mains des voleurs.
Il n'y avait plus rien dans notre cabane lorsque enfin j'en poussai la porte: envolés rouet, seau, casseroles et cuillères en bois! Plus le moindre petit morceau de chiffon dans lequel m'envelopper! Seules, quelques flaques de sang coagulé que le sol durci n'avait pu absorber! Je m'assis sur le banc de pierre et sombrai dans un profond sommeil.
J'en fus tiré tôt le matin par l'arrivée d'un moine tout de noir vêtu qui cependant ne m'inspira nulle crainte, tant son visage rond débordait de sympathie. Il me souhaita la paix du Seigneur, puis me demanda si cette maison m'appartenait. Sur ma réponse affirmative, il dit :
- Réjouis-toi donc, parce que le monastère Saint Olaf vient d'adopter cette résidence, te libérant ainsi de tous les soucis qu'entraîne la possession de biens matériels. Grâces en soient rendues à Dieu qui t'a permis de vivre le temps nécessaire pour voir cet heureux jour! Et sache en outre que je suis envoyé ici afin de débarrasser cette demeure de tous les mauvais esprits qui hantent les lieux témoins de morts violentes.
A ces mots, il se mit en devoir d'arroser le sol, le foyer, les gonds des portes et les volets avec de l'eau bénite et du sel qu'il avait apportés dans des vases, tout en se signant et en récitant en latin de puissantes conjurations. Ensuite, il vint s'asseoir à mes côtés sur le banc où j'avais passé la nuit, et sortit de sa besace du pain, du fromage et de la viande séchée qu'il m'invita à partager avec lui, affirmant qu'une petite collation était toujours bienvenue après si redoutable oraison.
Ce frugal repas terminé, je lui fis part de mon vif désir de faire célébrer une messe à l'intention des âmes de Mikaël Mikaëlsson et de son épouse, afin de leur épargner les tourments du purgatoire qui, bien le savais-je, étaient pires que tous ceux que l'on pouvait endurer ici-bas.
- As-tu quelque argent? interrogea le bon moine.
Je dénouai le pan de ma chemise et lui montrai mes trois monnaies d'argent. Son sourire devint encore plus doux.
- Appelle-moi Pierre, dit-il en me caressant la tête. Pierre est mon nom bien que je ne sois point une pierre! N'as-tu rien de plus?
Je fis non de la tête et vis la tristesse envahir son visage car, m'expliqua-t-il, une si petite somme ne suffit point à payer une messe.
- Mais, ajouta-t-il, si nous pouvions persuader saint Henrick - qui lui-même a péri de mort violente par la main d'un meurtrier - si nous pouvions le persuader d'intercéder pour les âmes de ces bonnes gens, nul doute que le pouvoir de cette sainte intercession ne soit bien supérieur à la meilleure des messes!
Je lui demandai alors comment déposer ma requête auprès du saint, mais il hocha du chef.
- Ton humble petite prière suffirait largement pour lui mais... je crains fort qu'elle ne soit emportée comme fétu de paille dans le torrent de prières qui déferlent en ces jours autour de son trône. Néanmoins, si un homme de prières, un homme véritablement puissant, de ceux qui ont consacré leur vie entière à la pauvreté, la chasteté et l'humilité, prenait l'affaire en main, si, une semaine durant, il priait à chaque heure canonique pour tes défunts grands-parents, saint Henrick prêterait certainement l'oreille à sa requête.
- Mais où pourrais-je trouver un homme de prières aussi puissant?
- Il est ici, devant toi! répondit le père Pierre sur un ton de simple dignité.
Et, tout en disant ces mots, il s'empara des pièces que je tenais dans ma main et les fit prestement glisser dans son gousset.
- Je commencerai les prières dès aujourd'hui à la sixième et à la neuvième heure, et je continuerai aux vêpres et aux complies. Hélas! Je suis loin de jouir d'une santé assez solide pour veiller comme les autres moines, aussi notre bon prieur me dispense-t-il des offices nocturnes! Mais tes parents bien-aimés n'en souffriront point: j'augmenterai d'autant le nombre de prières au cours des autres heures.
J'étais loin de saisir tous ses arguments mais il parlait d'une manière si convaincante que, pas un instant, je ne doutai d'avoir mis mon affaire entre les meilleures mains du monde. Et c'est pourquoi je le remerciai en toute humilité. Il retint la porte lorsque nous quittâmes la maison, fit encore maints signes de croix et me donna sa bénédiction. Puis nous nous séparâmes et moi, je m'en retournai vers la cabane de dame Pirjo parce que je ne connaissais point d'autre endroit.
J'avais très peur qu'elle ne se mît en colère en me voyant, car je m'étais aperçu que c'était une femme pleine de sévérité. Je me cachai donc et entrai dans l'étable lorsque la pluie se mit à tomber; les murs étaient couverts de mousse et de touffes d'herbe, des fleurs avaient poussé sur le toit et l'unique occupant de ces lieux était un énorme cochon. Je regardai ses épaules grasses et me pris à envier cet animal qui, lui, avait un toit sur la tête et le boire et le manger assurés. Je m'endormis sur la paille et, lorsqu'en ouvrant l'oeil, je sentis le cochon à côté de moi, je ne fis pas un geste et restai ainsi, blotti contre lui, me réchauffant à sa chaleur.
Quand dame Pirjo vint porter un seau de restes à l'animal, elle se montra très courroucée de me trouver
- Ne t'avais-je point dit de t'en aller?
Le cochon me donna un petit coup de groin amical avant de se lever pour manger. Son auge était pleine de cosses de petits pois, de navets coupés en morceaux, de lait et d'avoine. Je demandai timidement la permission de partager son repas avec l'animal s'il voulait bien me le permettre. Ce ne fut point la faim qui me poussa à faire cette demande - j'étais trop triste pour souffrir de la faim! - mais la soupe du cochon me paraissait mille fois plus appétissante que tout ce que j'avais mangé chez nous depuis de longs mois.
- Misérable sans vergogne! Insinuerais-tu par hasard que j'ai des leçons de charité à recevoir de mon cochon, sous prétexte qu'il te réchauffe dans sa bauge et partage sa pâtée avec toi? Ne t'ai-je point donné trois pièces d'argent? Même un homme trouverait à se loger et se nourrir pendant un mois au moins avec une somme pareille! Tu pourrais aussi te faire héberger une année entière par un bourgeois ou un compagnon qui te prendrait comme apprenti si tu l'en priais poliment! Pourquoi n'utilises-tu pas ta fortune?
Je lui répondis qu'ainsi avais-je fait puisque je l'avais donnée au père Pierre afin qu'il priât pour délivrer les âmes de mes grands-parents des tourments du purgatoire. Dame Pirjo s'assit alors sur le seuil de la porcherie, tenant la gamelle d'une main et appuyant sur l'autre son grand menton; elle resta un long moment les yeux fixés sur moi.
- As-tu perdu la tête?
Je répondis que je ne le savais mie, personne ne me l'avait dit jusques ici, mais que depuis que j'avais reçu ma blessure, la vie en effet me semblait tout à fait bizarre et déconcertante.
Dame Pirjo hocha la tête.
- Je pourrais te conduire
- "