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Traduction de l'américain
par Annie Halter
Rédactrice en chef du Washington Times et journaliste politique de la Fox News, Liz Trotta a voulu comprendre pourquoi les pages des grands quotidiens se remplissaient de plus en plus du message suivant: "Merci à Saint Jude ". En arrivant de nulle part, et ce en moins de 15 ans, Saint Jude est devenu le saint le plus populaire des Etats-Unis et du Canada, au point que les dons à ses statues ont remis à flot l'église américaine ( ce qui en soi était déjà irréalisable ). Quant au Vatican, il n'arrive pas à comprendre comment et pourquoi Jude a dépassé en célébrité sainte Thérèse de Lisieux. Mais les fidèles s'en moquent et ne disent qu'une seule chose : Saint Jude répond à toutes les prières, surtout à celles qui semblent désespérées ou impossibles Après une enquête de trois années menée un peu partout au Moyen Orient, Liz Trotta explique que Jude est devenu secrètement populaire par le " bouche à oreille ". Et en remontant toutes ses légendes et parcouru ses lieux de culte les plus étranges, elle a aussi acquis une certitude: Jude est non seulement le Saint le plus efficace mais également celui qui rend l'impossible possible. Une enquête hors du commun sur le Saint le plus mystérieux du Nouveau Testament.
ISBN 2-914569-34-3 EAN 8782-914569-347
Prologue
Lorsque j'étais petite, des centaines d'enveloppes arrivaient à la maison en provenance des divers sanctuaires dédiés à Saint-Jude.
Voyez-vous, ma mère était terriblement attachée à Jude, et notre famille a passé plus d'une soirée à éplucher les listes des causes impossibles avec des cases à cocher pour les prières spéciales.
Puis est arrivé le jour où, comme pour les colonies de vacances et les photos d'acteurs, j'ai eu l'impression d'avoir passé l'âge des saints intercesseurs. Ma carrière de journaliste sur une grande chaîne de télévision américaine me laissait peu de temps ou d'énergie pour les questions spirituelles, sauf pour couvrir le Vatican dans les grandes occasions, ou des reportages ponctuels sur une Vierge apparaissant soudain dans le jardin de banlieue d'un quidam.
Néanmoins, voici quelques années j'ai remarqué à un ami que Saint Jude semblait avoir vraiment le vent en poupe, et qu'on pourrait y consacrer un éditorial que sans même m'en rendre compte, j'avais mené une vie sans anicroche, en travaillant continuellement sur le territoire de Saint Jude, avec des moyens désespérés, mais sans jamais prendre conscience de sa présence.
C'était là une réflexion sérieuse.
S'il avait raison ? Alors quelque chose m'a forcée à le reconnaître : Saint Jude semblait avoir toujours été là, ce saint omniprésent qui s'était effacé quelques temps, uniquement pour réapparaître avec une fantastique revendication, celui de saint patron des derniers recours, des causes perdues, de l'impossible, bref, celui qu'on appelle au secours quand le bateau coule.
N'était-il qu'une légende ?
S'il en était ainsi, la personnalité énigmatique, mythique de Saint Jude, sans parler de sa réputation de réaliser l'impossible, le désignait comme un sujet de premier ordre pour quiconque s'intéressait à l'actualité, même de loin.
Et soudain, le mystère de sa longévité et de son secret a commencé à titiller mon sentiment d'être à la fois journaliste et catholique.
Non, ce n'était pas parce que j'avais envie de me retrouver chez moi, petite fille, assise à la table de la cuisine chez ma mère à lire les lettres de supplications à Saint Jude.
N'était-ce pas plutôt pour savoir si j'avais, moi aussi, une histoire personnelle avec lui ?
Les hagiographes, les exégètes et tous ceux qui écrivent des livres et des articles, avaient dit sur Jude tout ce qu'ils avaient à dire.
Mais pour moi, il était temps d'effectuer ma propre enquête.
Un murmure dans la rue :
Baltimore
Et ceux qui hésitent, ayez-en pitié en les arrachant du feu. Epître de Jude.
Je veux remercier Saint Jude d'avoir écouté mes prières. Je n'avais personne d'autre vers qui me tourner... R.S. 1997
Le mafioso Vincenzo Pullara, trapu et bien en chair, affiche le visage fermé d'un homme dépositaire de sombres secrets. Vincenzo et son groupe sont en route pour effectuer une neuvaine au sanctuaire de Saint Jude, le saint patron des causes impossibles. De son propre aveu, il est en bons termes avec « des types qui traînent dans les cafés », et il ne parle pas des établissements de grande classe. Ses compagnons et lui sont de l'étoffe des personnages des mini-séries de Hollywood : on chuchote leurs surnoms infantiles dans les couloirs sordides des tribunaux criminels de New York. Même le FBI a parlé une fois de Vincezo Pullara comme d'un lieutenant de la famille Gambino.
Donc, par une journée orageuse du mois de mai, lui et une quarantaine de ses amis foncent sous la pluie et dans le brouillard, tranquillement installés dans un bus Greyhound en direction de Baltimore.
Ce sont des pèlerins.
Dans quelques heures, ils s'agenouilleront au pied d'une statue d'une affligeante banalité, qui, en réalité, va transformer l'intensité de leur gratitude et de leur dévotion en un profond soulagement.
Et moi aussi je les accompagne, sans trop savoir pourquoi. Peut-être pour justifier une intuition de journaliste, un pressentiment que j'ai depuis longtemps et qui subodore qu'il se passe quelque chose de très intéressant à propos d'un homme qui s'appelle Saint Jude, quelque chose en quoi on croit vraiment, et qui, bizarrement, est souvent vérifié, mais qui n'a jamais été exploré.
Lors de mon enfance catholique, très représentative de toute une époque, et à présent incroyablement lointaine dans mon souvenir, Jude se tenait immobile parmi d'autres saints. S'il était plus ténébreux et plus artificiel que les autres, en revanche il est accrédité du pouvoir aussi vaste qu'imprécis, de secourir et de sauver les causes les plus perdues. Ténébreux, c'est vrai, mais devenant imposant comme l'ombre d'une montagne grâce à l'intense conviction et à la dévotion du grand nombre de ses partisans.
De façon impersonnelle certes, Jude est devenu pour moi plus réel dans ma vie d'adulte. Avec ses fervents admirateurs et ses oeuvres étranges qui surgissent à des endroits inattendus, le saint reste à l'arrière-plan. Sans cesse, je me heurtais à des histoires de ce Soldat Inconnu de l'esprit, qui attirait d'innombrables âmes nouvelles, des gens qui attendaient un espoir nouveau dans un monde toujours plus désespéré.
Mais pourquoi ? Et comment ? Je posé la question à Vincenzo : « Vous savez, avant, je n'y croyais pas », me dit-il, « mais maintenant, je vois que des choses se passent quand je demande son aide. Et il faut que je le remercie ». Et le remerciement mérite d'être de taille !
En 1987, deux redoutables procureurs du ministère de la Justice, Louis Freeh ( à présent patron du FBI ), et Rudolph Giuliani ( élu depuis maire de New York ), pistaient un certain nombre de clients des cafés vus précédemment. Ces cafés étaient impliqués dans une filière d'importation d'héroïne qui fonctionnait à partir de diverses pizzerias de Brooklyn, tout en exportant ses « pizzas » jusqu'en Sicile. Avec obstination, Giuliani et Freeh ont finalement obtenu 17 condamnations dans l'affaire de la « Pizza Connection ».
Accusé de s'être enfui à la suite d'un « contrat », un assassinat à la carte, le nom de Vincenzo apparaissait aussi dans le mitraillage à bout portant d'un autre accusé dans une rue animée de Greenwich Village. Et voilà le point : Vincenzo a été mystérieusement sauvé quand un témoin clé du ministère de la Justice est soudain revenu sur ses déclarations faites sous serment. Du coup, les autorités ont été contraintes d'abandonner l'accusation. Notre homme est donc convaincu que ce sont les supplications de sa femme à Saint Jude qui lui ont évité la prison. Il lui adresse un sourire rayonnant, en faisant miroiter le diamant à son petit doigt.
Dans le bus, Jerry Pullara distribue des barres chocolatées et du solide saucisson sicilien, tout en rejetant sa chevelure en arrière afin que ses boucles d'oreille en or 14 carats soient admirées. Il n'aime rien de plus qu'amener ses convives devant la statue de Saint Jude, haute de 1,70 m, trônant dans son salon du Queens : « Je lui parle tous les jours en m'occupant de la maison » me confie-t-il. « Je ne sais pas ce que je ferais sans lui. Je le consulte à propos de tout ».
Maintenant, les enfants chantent en patois sicilien dans la lecture de Oggi, le Voici italien, et une dame tout de noir vêtue se tourne vers les voyageurs pour entonner « In nomine Patris, et Filii, et Spiritu sancti... ». Les pèlerins ont commencé leur voyage.
*
Voici plus de 70 ans, l'écrivain Gilbert K. Chesterton avait déjà noté que « l'Amérique est une nation qui a l'âme d'une église ». Cette sage remarque peut maintenant apparaître comme une véritable prémonition du troisième millénaire, l'Amérique s'est engagée dans le réveil religieux le plus fervent de son histoire. Mais ce n'est pas un simple étalage d'anges aux yeux rêveurs, ni le tintamarre des vibrations du New-Age. Non. Il s'agit d'un mouvement commun d'esprits, d'un ardent désir des coeurs, et, de manière plus profonde, de la plainte et de la désespérance de tout un peuple qu'on a longtemps considéré comme le plus béni parmi toutes les nations : le meilleur, le plus brillant, le plus riche, le plus attachant, le plus intelligent et le plus résolument optimiste.
Et maintenant, peut-être, le plus désespéré.
La paix, la prospérité, le triomphe et la bonne conscience de la Guerre froide nous ont conduit à une époque et à un sentiment de « retour à la réalité » où nos esprits explorent eux-mêmes un vide que nul soldat américain, nulle victoire politique ne semble capable de combler. Jadis, nos triomphes intellectuels et techniques ont nourri notre légendaire optimisme, notre conviction qu'en tant que chef du monde libre, « tout va bien », et, sous-entendu, du monde honorable. Il n'est guère surprenant que des gens conditionnés à voir ces talents comme les conditions préalables à tout bonheur, à tout projet et à l'estime de soi, se sentent diminués, dépréciés et désespérés au moment même de la victoire.
Quand nous découvrons qu'une petite nation du sud-est asiatique, rongée par la pauvreté, peut nous mettre à genoux, et que « Made in Japan » n'est plus un synonyme d'imitation à bas prix, nous nous retrouvons face à notre propre vulnérabilité non seulement en tant que nation, mais aussi en tant qu'individu ou, comme l'expriment les théologiens, on se retrouve aux limites de notre état de « créature ». Et le recours approprié à cette impression de perte, doit être l'espérance car, en son absence, c'est le désespoir qui attend pour occuper la place vide.
Un grand nombre de nos prières exaucées nous ont laissé sur notre faim, avec une impression de déception, d'inachevé, une fois l'exploit accompli, après le moment de triomphe, même s'il est considérable dans le monde matériel.
Les diplômés de la génération « Moi je » qui aspiraient à devenir les « Maîtres de l'Univers » semblent avoir découvert à l'âge mûr qu'ils ne sont même pas capables de contrôler leur propre destin.
C'est donc une époque de mutation interne, avec le besoin d'expérimenter personnellement qu'il existe bien une puissance plus importante que soi. La prière - l'ultime sensation - redevient alors à la mode. Verrons-nous le jour où, à la télévision, nous tomberons sur un animateur onctueux qui questionnera un panel d'invités sur le thème « Des gens qui espèrent trop ? »
Il existe une thérapie qui propose l'optimisme modéré, c'est-à-dire parler sans fin de soi-même et de prétendues recettes miracle pour soigner des agonies interminables longtemps. Même le sexe - qui fâcheusement est passé pour le remède racoleur et universel de ces 30 dernières années - n'a rien libéré. Au lieu de la paix intérieure, on parvient à l'émiettement, le déracinement, le divorce, le choc des cultures, la haine raciale, la drogue, l'alcool et les maltraitances envers les enfants insatiable et sans nom.
Après avoir défini le « prix à payer », nous découvrons justement que ce monde n'en offre aucun assez élevé pour masquer ses horizons sombres et vides. On possède la Mercedes pour laquelle on a prié, et on se rend compte qu'avec elle, les libertés de notre coeur ne vont guère plus loin que nos deux jambes.
Après s'être considérée si longtemps comme « le peuple élu », l'Amérique se vautre maintenant dans un dégoût de soi culturel et spirituel, alors que les églises se vident, discréditées dans l'esprit des gens comme l'Etat. Quant à la croyance que les choses vont s'arranger, que l'avenir appartient au pays choisi par Dieu, les ténèbres se dissolvent dans un malaise informe.
Sous l'effet de cette défiance de soi, sancta simplicitas, la sainte simplicité s'est amenuisée dans notre existence. Toutes les formes de foi, même dans la science, sont menacées approximatives de l'esprit qui se précipitent pour combler la blessure béante.
- Des radiesthésistes et des chasseurs d'ovnis racontent leurs histoires à plus de monde que jamais auparavant.
- Les récits d'apparitions de la Vierge et d'icônes qui pleurent atteignent une fréquence jamais vue.
- Les rumeurs de catastrophes millénaristes, que ce soit la Fin des Temps, ou une Nouvelle Renaissance dans un New Age insondable, vont bon train. Ils mêlent un sentiment d'urgence et parfois de terreur dans le débat spirituel.
- Tous les membres d'une secte se suicident ensemble pour ne pas rater le voyage sur une comète.
Il n'est donc pas surprenant que les chants grégoriens resurgissent du passé pour rentrer dans les meilleurs ventes de disques. Ou qu'un sondage commandé par le magazine Time et CNN indique que 82% des 1004 personnes interrogées croient au pouvoir de guérison de la prière personnelle.
L'espérance, le dernier point de rencontre des mondes séculier et religieux, qui fonctionne entre le pressentiment et le désespoir, nous démontre que l'on peut en quelque sorte se frayer un chemin parmi les décombres pour continuer à avancer. Ou, pour dire les choses plus brutalement, on a l'impression d'avoir affaire à une race humaine « déchue » qui doit finalement rechercher l'espérance bien au-delà des limites de la création. « Espérer contre toute espérance » disons-nous, en admettant inconsciemment que l'espoir rationnel, ordinaire, doit être dépassé par une espérance plus élevée, et même irrationnelle.
En se tenant soigneusement à l'écart des services rendus par la religion dans ce monde, Saint Jude Thaddée nous fait signe, prêt à se montrer au-delà des solutions terrestres, et à nous héberger dans les territoires du dernier recours. A la fin, c'est par lassitude que nous nous en remettons à sa protection discrète, mais totale. Celui qui est épuisé se rend compte que ça vaut la peine d'attendre - il existe vraiment un recours.
Solitaire, cheminant sur une voie secrète, totalement à l'écart de la foule des signes et des recherches du millénaire, Jude attend que le juste, comme l'égaré, l'appelle par son nom. Mais à la différence d'une grande figure bien établie historiquement, c'est un saint anormal, pour un âge anormal, qui choisit le moment et le lieu de son intervention, et ce de manière aussi troublante qu'il intervient. On peut comprendre qu'une guerre mondiale ou une crise jette des foules de gens dans le camp des troupes irrégulières de Saint Jude, comme ce fut le cas dans le passé gens se tournent vers lui dans une époque de paix et de prospérité, alors il nous faut envisager l'inquiétante perspective que les conséquences perfides du vide moral sont plus désastreuses que celles de la persécution et de la guerre.
Saint Jude Thaddée, le moins connu des Apôtres, et pourtant le plus célèbre dans le monde entier pour ses oeuvres spécifiques, s'est incorporé ou plutôt s'est évadé de l'histoire depuis le moment où le fils du charpentier l'a appelé à ses côtés. De retour aujourd'hui, il projette son ombre au beau milieu du combat éternel entre l'espérance et le désespoir et revient avec une force plus grande que jamais auparavant.
Galvanisé par une vision très spéciale, Saint Jude - et les Judéens - ont fait surface au sein de l'aridité qui semble craqueler le monde entier pour y apporter le réveil de l'espérance. Non pas la grande vertu elle-même, aux contours bien définis, mais le début d'un éveil des coeurs dans le monde entier, des âmes tendues à l'extrême mais qui trouvent une dernière main secourable avant de craquer. Ce n'est pas l'espérance de la foi qu'elles cultivent, c'est l'espérance de l'espérance.
Plus déconcertant que tout, il y a l'impalpable omniprésence de cet homme mystérieux qui, sans l'appui d'une preuve historique ou théologique, a reçu l'incroyable fardeau de récupérer les causes perdues. On dit que c'est un saint. Mais est-ce davantage ? Et même « s'il n'est qu'un saint », à quel autre saint ressemble-t-il ? A un Jérôme querelleur ? à un Augustin passionné ? à Thérèse ? à Jeanne ? Il échappe à ce genre de comparaisons, comme toujours. Quand on commence à chercher Saint Jude, c'est dans la rue qu'on trouve sa présence, et son histoire, là où les nouvelles devancent les journalistes ou les invités des émissions télévisées. Elle explose dans la vie des gens ordinaires, rapide et sophistiquée comme un avion furtif, saute d'une bouche à l'autre, d'un coeur à un autre, et dépasse les limites des témoins de ses oeuvres.
Ces histoires d'espérance récompensée ne viennent pas s'ajouter à une preuve solide des interventions spirituelles, comme par exemple une couverture scientifique, ou l'approbation de l'Eglise. Leur étendue géographique et économique est illimitée, le désespoir est logique de suggestions immédiates, qui démontre que Saint Jude - le fermier, l'apôtre, le prêcheur, le martyr, le saint, l'omniprésent - émerge comme l'une des figures spirituelles les plus puissantes d'Amérique.
Des fermiers au fin fond du Middle West lui élèvent de petites chapelles au bord des routes. A New York, les créateurs de mode portent des colliers Jude. Des porte-clés avec la supplication « Saint Jude, protégez-moi » ornent les costumes les mieux coupés. Des malades se font opérer avec des médailles de Jude épinglées à leur robe de chambre. Des fidèles et des curieux se pressent aux neuvaines à Saint Jude dans tout le pays. On entend prononcer son nom dans les halls des hôtels, dans les bureaux de placement. Un jeune garçon fait la manche dans une épicerie coréenne pour acheter son billet gagnant à une loterie d'Etat, en disant à ses copains qu'il appellera son fils Jude.
Dans leurs petits salons à l'ambiance glauque, les diseuses de bonne aventure ont des statues de Jude. On affiche son nom sur les t-shirts, on donne son nom à un tournoi de golf, tout comme à un club de bowling ou encore à un club de vélo.
Sa présence la plus ancienne et la plus reconnaissable dans ce pays s'étale dans les colonnes des petites annonces des quotidiens et des hebdomadaires, grands ou petits. La publication de prières pour demander son aide et des formulaires de prières de remerciement sont le pivot de la dévotion à Saint Jude. Un courant pseudo-judéen, une sous-culture kitsch bourrée de superstitions et de mauvais goût, de comédie et de tragédies, fleurit, en partie favorisée par le statut d'Homme Invisible de Jude.
On ne le voit pas, mais on peut facilement avoir accès à lui, et ce Jude-là, sans fioritures, se présente avec un rituel privé et son propre fonctionnement, qui substitue la forme au fond.
D'innombrables chaînes de lettres ceinturent ainsi le globe comme des satellites : « La chance vous sourira dans quatre jours si vous envoyez des copies de cette lettre à vingt personnes. Si vous brisez la chaîne, alors préparez-vous à subir des malheurs ». Des sites sur Jude crépitent sur les ondes de l'Internet prière et un petit manuel de motivation basé sur des détails intimes de la vie de Jude, révélés par une « visionnaire » italienne ( à propos de son enfance : « la famille de Saint Jude habitait dans la même rue que Jésus » sur sa vie d'homme marié : « ils partageaient leur maison, un bâtiment à deux étages qu'ils avaient loué, avec un autre couple » ).
Bref, nous assistons à une explosion de Jude, à un retour vers un saint qui, bien que mystérieux, embrigade les désespérés et les esseulés, les croyants et ceux qui doutent, pour qu'ils fassent cette démarche supplémentaire envers lui pendant qu'il attend leur appel.
On dirait qu'il attend, tapi derrière la porte, qu'arrivent ces moments difficiles au cours desquels le coeur ne peut plus qu'hurler de désespoir : « Pourquoi moi ? » Qu'il attend que les gens aient l'impression que même Dieu s'éloigne d'eux, alors qu'ils croient en Lui. Ou quand il leur semble impossible qu'un Dieu puisse exister.
Le désespoir ne choisit jamais, il parcourt le monde et le dévaste démocratiquement : les voies pour s'enfuir tournent court, les organismes de secours sont en panne, la foi se barricade, et l'espoir lui-même, l'ultime défense, se tarit et semble dépérir.
Dans ce mortel et éternel duel entre l'espérance et le désespoir, cet énigmatique personnage venu des chemins de traverse de Galilée progresse dans la poussière aux côtés des âmes lasses de notre monde contemporain, cette populace des désespérés qui cherchent sa main à tâtons seulement quand ils tombent pour la troisième fois. Pour eux, Jude Thaddée est le secours du Tout-un-Chacun, de ceux à qui il ne reste rien d'autre que les antiques paroles du grand psaume de David : « Eli, Eli, lama sabachthani ? Mon Dieu, mon Dieu, Pourquoi m'as-tu abandonné ? » - les paroles de Jésus prononcées au tout dernier instant sur sa croix.
Alors que les murmures des inconsolables se fondent en un hymne commun, on voit que les croix portées par l'armée de Saint Jude sont infiniment variées. Les histoires qui résument ces fardeaux s'achèvent souvent à l'improviste, comme celle de feu Jimmy Hoffa, le célèbre syndicaliste-mafioso des routiers américains. Après la disparition de ce géant bizarrement bâti, son épouse Joséphine, en état de choc et devant subir une opération de la cataracte, a passé beaucoup de temps à prier chez eux devant un autel dédié à Saint Jude. Hoffa lui en avait fait cadeau juste avant sa disparition.
La plupart du temps, l'espérance est couronnée de succès, mais pas toujours immédiatement. Le histoires arrivent de tous côtés. Madame L.C. écrit de Floride : « J'ai rêvé d'une petite statue de Saint Jude dans ma chambre en train de parler avec moi, mais à mon réveil, je n'arrivais pas à me rappeler de ce qu'il m'avait dit. Ce songe est arrivé deux nuits de suite... Je n'avais jamais entendu parler de Saint Jude... ». Cette dame fit part du rêve à sa mère qui lui expliqua que c'était le saint des causes perdues. Puis elle oublia. Au bout d'une semaine, en se rendant à l'église, elle mit le pied sur un livret de neuvaines à Saint Jude, jeté par terre. N'étant confrontée à aucune situation désespérée, elle le mit de côté. Mais ce fut au moment d'une fausse-couche qu'elle se mit à prier la neuvaine à Saint Jude : elle promit de donner le nom du saint à son enfant, s'il naissait en bonne santé. Ses médecins l'avaient prévenue de s'attendre au pire, mais elle mit au monde un robuste petit garçon. « Il s'appelle Jude ».
Monsieur P., un ancien combattant, se souvient d'avoir souffert à 14 ans d'une fièvre rhumatismale, compliquée par des problèmes cardiaques, qui l'obligea à rester alité pendant quatre années. Le docteur lui prédit des activités physiques strictement limitées, ce qui semblait mettre un terme à ses deux rêves, devenir boxeur ou acteur. Mais un de ses copains lui parla de Jude et « j'ai commencé à prier très fort ». Quand il passa l'examen médical d'admission dans l'armée, on ne trouva aucune trace de la maladie, pas plus qu'elle ne réapparut lors des entraînements inhumains nécessaires pour être incorporé à la mythique 82e Division Aéroportée. Une fois son service militaire achevé, il devint boxeur amateur, et à l'âge de 67 ans, il s'entraîne toujours et travaille six jours par semaine : « je crois que je ne deviendrai pas un acteur célèbre » dit-il en s'esclaffant, et ajoute qu'il remercie Saint Jude tous les jours pour ce « grand miracle de sa santé ».
Pour mieux expliquer ce qu'est Jude, il nous faut considérer ce qu'il n'est pas. Il n'existe pas de mythe officiel prédominant, aucune iconographie alambiquée ne le baigne d'une lumière céleste, il n'y a pas de grande histoire de Jude, ou d'association pour attirer notre attention - seulement des merveilles qu'on raconte et qu'on se répète à mi-voix, et qui passent d'un copain à un inconnu, puis à une oreille indiscrète. Curieusement, jamais personne ne semble avoir revendiqué une vision de lui. On ne voit pas pleurer de statues de Jude. On n'en trouve même pas la trace dans les programmes des écoles religieuses. Et pourtant, quand tout le reste a échoué, quand tous les « spécialistes notoires » se sont cassé les dents sur la tâche, on sait que Jude traîne dans les coulisses. Et c'est seulement plus tard que les gens se rendent compte que cette présence, c'est Jude. C'est en prenant du recul qu'ils le reconnaissent. Ils ne se présentent pas de face comme d'habitude, et selon les règles soigneusement codifiées de l'église, en demandant : « A qui dois-je m'adresser pour ceci ? » Il y a la méthode des bureaucrates de Rome, et puis, il y a Saint Jude, l'apôtre révéré de Jésus, et en même temps très différent de Rome, de tout ce qui est organisation, bureaucratie. Les gens se tournent vers lui, souvent sans savoir si c'est un homme ou une femme, un juif ou un Gentil. Ce n'est qu'à la fin qu'ils voient que c'est à Jude qu'ils se sont adressés.
Les appels qu'on lui lance ne ressemblent pas à ceux qu'on fait à des saints que l'on prie pour les voyages en avion, sur les champs de bataille ou pour les chauffeurs de taxi, etc. Le domaine des causes impossibles embrasse un champ bien plus vaste de l'humanité, et ainsi, par définition, il exige un intermédiaire doué de pouvoirs particuliers. Etre un apôtre et probablement un cousin de Jésus, c'est sûrement cela qui fait que Jude se présente comme quelqu'un qui s'y connaît et pourtant, ces circonstances elles-mêmes sont souvent ignorées de ses fidèles. Au lieu de ça, il arrive comme une aide sainte, comme quelqu'un qui se cachait derrière le rideau. L'immatérialité de Jude est l'essence même de sa séduction. A une époque où les saints sont célébrés à grand renfort de publicité, c'est une ombre en creux singulièrement douée, dont on perçoit à peine les contours, pas un saint monté en épingle avec des miracles tapageurs, comme la danse du soleil à Fatima, ou des sanctuaires clinquants, agrémentés de béquilles comme à Lourdes. Ce n'est pas le compagnon de toute une vie, comme on perçoit la Vierge, ou saint Christophe, réformé à l'heure actuelle. Michel-Ange ne l'a jamais immortalisé dans le marbre. Jude n'attire pas l'attention. Il est presque passif, c'est un saint de l'ombre qui voyage léger.
De nos jours où on se fait particulièrement remarquer par le bruit qu'on fait autour de soi, il se tient en silence, sans légende : Jude, c'est celui qui a choisi de vivre dans l'ombre, une guérilla qui opère en douce dans le brouillard, une apparition à l'horizon le plus éloigné, le plus lointain - et pourtant, c'est celui qui entend les cris les plus faibles, les plus désolés. Il y a une qualité médiumnique autour de cela, comme si les gens ressentaient vaguement qu'ils sont connectés avec l'espérance - avec Jude.
Etait-ce par accident que les Beatles ont fait de cette impression le plus gros succès de leur fabuleuse carrière « Hey, Jude » ? Mentionnez le saint à toute personne qui ne le connaît pas, et attendez-vous à entendre quelques mesures de cette chanson inoubliable, un hymne à l'espérance. Depuis des années, beaucoup de gens sont persuadés que ces héros musiciens aux cheveux en bataille des années soixante étaient sous le charme du saint de l'impossible arrivés à trouver une invocation inconsciente dans cette obsédante mélodie. Mais John Lennon et Paul McCartney ont toujours défendu l'origine profane de cette chanson, en démentant sagement les analyses psychologiques et les prédictions pêchées dans le marc de café qui prétendent que leurs paroles ont soi-disant un sens caché. Cette attitude n'est pas inhabituelle chez un groupe de jeunes de Liverpool dont le charme découle essentiellement de leur aversion congénitale pour l'affectation et qui soulignent qu'il y a toujours moins à voir que ce que l'oeil perçoit.
La plupart des récits sur l'évolution de cette chanson commencent lorsque Paul McCartney, au volant de son Aston-Martin, ramenait de Londres le fils de John Lennon, Julian âgé de 5 ans, à sa mère Cynthia. A cette époque, le couple Lennon n'était pas loin de divorcer car Yoko Ono était déjà bien installée dans la vie du musicien. McCartney, qui voulait consoler Julian, commença à chanter « Hey, Julian » qui évolua en « Jules », puis plus tard en « Jude ». Comment ? Ce n'est pas clairement expliqué, bien que certains pensent que ça convenait mieux historiquement pour la mélodie. L'explication la plus courante est que Lennon a bien aimé la chanson, et il a cru que Paul lui avait inconsciemment adressée à cause de sa liaison avec Yoko, comme si McCartney lui disait : « Hey, John ». Quant à la surprenante suggestion dans la chanson, qui dit qu'il faut « un geste » sur l'épaule de quelqu'un ( Jude, ou John ), on raconte souvent que Lennon l'aurait entendu comme un message de McCartney : « L'ange en lui disait ''Sois béni'' ».
Les Beatles l'ont enregistré dans l'Apple Boutique sur Abbey Road, un magasin de vêtements qu'ils avaient acheté pour le transformer en studio. La veille de l'enregistrement, quelqu'un avait passé la vitrine à la chaux blanche et avait griffonné « Hey Jude » en travers. Des commerçants se sont mis en colère en y décelant une touche d'anti-sémitisme, et quelqu'un a même fracassé la vitrine avec une brique. Peu importe. Le surlendemain, la mise au point de l'enregistrement a eu lieu en une seule prise, 7 minutes d'espoir mis en musique.
La chanson est sortie le 30 août 1968. Malgré les craintes McCartney, en deux semaines, elle est devenue un tube. Bien qu'une bonne partie soit « gnagnan », des millions de gens y ont entendu l'écho de l'espérance, l'écho de Jude. Dans son livre Tell me why, Tim Riley évoque la chanson en ces termes : « La touche de génie réside dans sa façon de faire participer l'auditeur au même pèlerinage ».
Et c'est un voyage de prières, un voyage qui vous prémunit contre la crainte, ou un trop grand détachement, car ce sont des choses qui vous empêchent de retrouver la paix intérieure, ou l'espérance, tout ce qui améliore l'existence. On dirait qu'une petite chanson peut réécrire la triste musique de la vie.
*
Mais que sait-on réellement de Saint Jude ? Sa présence, furtive comme on peut l'imaginer, apparaît et disparaît de l'histoire de l'Evangile avec moins d'impact que celle d'une douzaine de caractères mineurs, y compris les trois Marie qui n'étaient pas la mère de Jésus - obscures à leur façon, car elles n'ont jamais été spécifiquement identifiées - tout comme Marthe, Lazare, Simon de Cyrène, ainsi que le bon et le mauvais larron.
Il n'y a virtuellement aucune étude sur lui, que ce soit au niveau scolastique ou populaire pers
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