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Comment les moines bouddhistes arrivaient-ils à léviter ? Par quel miracle Thérèse d'Avila parvenait-elle à flotter dans les airs devant des centaines de personnes ? Comment saint Joseph de Capistrano a-t-il réussi à léviter aussi bien devant une cour de diplomates, que devant le pape Urbain III et son entourage ? Et sainte Catherine de Sienne ? En pleine méditation dans son église, elle était élevée par une force mystérieuse à plus de dix mètres de hauteur ! Mais qui sont tous ces mystiques, bouddhistes ou chrétiens, qui sont soulevés par la main invisible de Dieu ? Avec ce livre unique, Joachim Bouflet a réussi l'étude la plus complète sur le phénomène le plus spectaculaire d'une vie mystique : la lévitation.
ISBN : 2-914569-27-0 EAN : 9782 914569 279
Si doté de raison que soit l'homme, il lui arrive de ne pas garder les pieds sur terre. Et ce non seulement au sens figuré que, d'emblée, suggère cette expression courante. En effet, il est certaines personnes qui, dans des circonstances particulières, sont capables de se soulever du sol. Cela n'existe pas seulement dans les romans ou les contes de fée, mais dans la réalité la plus concrète, sinon la plus banale.
On nomme ce phénomène lévitation ( du latin levitas, légèreté ). Le mot a été inventé dans le dernier quart du XIXe siècle par les Anglais, c'est dire combien sa signification est vague. Pour nos voisins d'outre-Manche, il recouvrait ( recouvre toujours ) toutes sortes de manifestations qui présentent pour dénominateur commun la suspension d'un corps dans le vide, quelle qu'en soit la cause : ainsi, un hélicoptère en vol est en lévitation, de même qu'un objet flottant en apesanteur dans un caisson d'isolation, ou une feuille de papier soulevée à distance par un médium.
Plus tard, le terme est entré dans le langage scientifique. Il désigne, en physique, une technique permettant de soustraire un corps solide à l'action de la pesanteur grâce à divers procédés : ainsi, on peut soulever des objets par action électrostatique ou électrodynamique, par le magnétisme, les ultrasons, ou encore à l'aide de rayons laser, en vue d'applications dans l'industrie. Si la NASA ou la General Motors ont renoncé à poursuivre leurs tests de magnétisme électrique, qui se sont révélés peu concluants à grande échelle, la NASA maintient toujours métaux et verres en lévitation dans des caissons sous vide pour éviter leur contamination par des agents extérieurs. Si la lévitation acoustique en est encore au stade expérimental des chercheurs de la North Western Polytechnical University de Xi'an, en Chine, ont réussi à soulever de petites quantités de mercure en utilisant des ultrasons , la lévitation magnétique semble en revanche promise à un bel avenir surtout dans les technologies de pointe, où l'on utilise notamment la force de puissants électro-aimants pour actionner des ascenseurs et, en Allemagne et au Japon, pour propulser des trains appelés justement trains maglev ( abréviation de l'anglais magnetic levitation ), dont les prototypes qui circulent au-dessus d'un rail sans le toucher, auraient atteint des vitesses de plus de 500 km/h. Plus modestement, dans un laboratoire de Nimègue, aux Pays-Bas, des biologistes sont parvenus à faire léviter une grenouille vivante en l'immergeant dans un champ magnétique d'une énorme intensité : il n'est pas précisé si la rainette a apprécié le voyage, ni dans quel état elle en est revenue. Suivant que l'on utilise telle ou telle propriété des aimants, ou bien les deux ( attraction/répulsion ), on parle de lévitation monopolaire ou de lévitation diamagnétique. Pour être complet, il faudrait encore citer la lévitation thermodynamique qui, comme l'indique son nom, utilise la chaleur : l'exemple le plus courant en est celui de la plume, du fétu de paille ou du morceau de papier, qui flotte en l'air soulevé par un courant d'air chaud presque imperceptible.
Si intéressants que soient les résultats de ces techniques, ces dernières sont très éloignées du sujet que je me propose d'aborder dans ces pages : la lévitation du corps humain. Aborder, car le domaine est si vaste qu'il faudrait plusieurs livres pour l'explorer à fond, en étudiant les faits cas par cas. Et ce pour l'Europe occidentale uniquement. Le Larousse en donne la définition suivante :
Lévitation : Phénomène selon lequel certains êtres seraient soulevés du sol et s'y maintiendraient sans aucun appui naturel 1.
Définition défectueuse, n'en déplaise à messieurs de l'Académie : que représente l'y de s'y maintiendraient ? Grammaticalement, le sol... ce qui ôte à l'explication toute cohérence. Il eût fallu écrire : et se maintiendraient ainsi, ou bien et se maintiendraient en l'air.
La lévitation est un phénomène qui permet au corps de vaincre ou de dominer la loi de la gravité, de façon à se soulever ou à être élevé au-dessus du sol, et à rester plus ou moins longtemps suspendu dans le vide sans appui. Signalée dans l'hagiographie et dans l'histoire des religions, elle l'est aussi dans le spiritisme et la parapsychologie. Et encore dans le folklore de l'Italie méridionale, où la levitazione est le nom d'une figure de la fameuse danse appelée tarentelle ( tarantella ) parce qu'on en attribuait l'origine à la morsure de la tarentule : les anciens croyaient que le venin de cette araignée déclenchait chez ceux qui en étaient victimes des réactions spasmodiques les faisant bondir en l'air.
Sans conteste, le cas de lévitation le plus connu du grand public a été longtemps celui qui illustre les aventures de Tintin au Tibet, ce qui a laissé croire aux lecteurs que le prodige est propre aux religions orientales, et en l'occurrence plus exactement ( pour les spécialistes ) au bouddhisme spéculatif Mahâyâna ou Grand véhicule. C'est ignorer qu'il est attesté en Occident aussi, et ce depuis l'Antiquité classique, et qu'il n'appartient pas seulement à l'univers fantastique d'Harry Potter, dont les aventures ont été portées à l'écran voici peu. A ce propos, il est intéressant de noter que plusieurs films mettent en scène des faits de lévitation, de Peter Pan à La Guerre des étoiles, en passant par Mary Poppins, sans oublier les trois oeuvres du cinéaste soviétique Andreï Tarkovski Solaris ( 1972 ), Le Miroir ( 1974 ), Le Sacrifice ( 1986 ) dans lesquelles revient, récurrent, le même thème. Au cinéma, la lévitation n'est pas seulement de l'ordre de la science fiction, elle relève aussi de la poésie et de la symbolique, retrouvant par là sa signification.
S'inspirant également du phénomène, les illusionnistes les plus fameux ont su donner à leur public grâce à des jeux de miroirs et des effets de lumière relevant de ce que l'on appelle communément des tours de magie l'impression qu'ils étaient capables de s'élever sans appui au-dessus du sol et de flotter dans les airs. Les spectateurs savent qu'il n'en est rien, en réalité, mais volontiers se laissent prendre par le caractère insolite de la prestation, qui renvoie au mythe des hommes volants cher à l'imaginaire collectif. Galvaudée, donc, la lévitation ? Non, mais détournée et exploitée sans malice. Dans les modestes représentations de la plus ringarde des fêtes de village, le magicien de service propose souvent un numéro qu'il qualifie de lévitation : trois personnes de l'assistance sont invitées à le seconder pour soulever comme une plume un volontaire qui accepte de se prêter au jeu et, placés tous les quatre de part et d'autre du sujet allongé sur une table ou sur des tréteaux, chacun glisse l'index et le majeur sous une des aisselles ou un des genoux de ce dernier. A un signal donné, tous le soulèvent ensemble, apparemment avec la plus grande facilité, les doigts seuls semblant fournir un effort et donnant l'impression que le sujet est devenu léger sont les muscles des bras et des épaules qui sont sollicités. Bien-sûr, il ne s'agit pas de lévitation au sens strict du terme, mais de l'adaptation d'un jeu naguère en vogue dans les collèges anglais ou les camps scouts, où le groupe portait un des siens à bout de bras, chacun des participants se retirant tour à tour jusqu'à ce qu'ils ne restent plus que quatre ou même trois à maintenir le sujet soulevé en l'air.
Dans le domaine religieux, la lévitation proprement dite est beaucoup plus discrète, pour peu qu'elle existe. Si des associations pieuses affrètent charters et trains spéciaux pour transporter des hordes de pèlerins sur tel ou tel lieu où est censée apparaître la Vierge Marie, il n'existe pas d'organisation similaire qui conduise les excités du merveilleux auprès d'un gourou planant. En fait, si un seul cas était avéré de lévitation fréquente, voire à dates régulières et en public comme nombre de mariophanies contemporaines, cela se saurait médias s'en empareraient, et c'est par milliers que curieux et dévots se précipiteraient pour s'en extasier, de même que l'invincible armada des sceptiques qui chercheraient à démasquer l'imposture. On proposerait aux mystiques lévitants des ponts d'or encore plus massifs que ceux, déjà conséquents, que l'on fait à certains visionnaires pour qu'ils viennent à domicile gratifier du spectacle de leurs prétendues apparitions, ou de leurs soi-disant stigmates, des foules de fidèles trop crédules.
Est-ce à dire que la lévitation, comme phénomène d'ordre spirituel quant à ses causes, n'existe pas, et que les Anglais n'auraient, en fin de compte, inventé le terme comme les écossais le monstre du Loch Ness, dont on parle d'autant plus volontiers qu'on ne le voit guère , qu'à des fins purement commerciales ? Assurément, non. Mais il est, en matière de spiritualité, un principe énoncé déjà au XVIIe siècle par saint François de Sales, et toujours valable : « Le bien fait peu de bruit, le bruit fait peu de bien ». Par définition, l'expérience mystique se déroule dans le secret qu'exige le caractère intime de la relation entre l'homme et le divin ponctuent ne sont que des épiphénomènes, et pour peu qu'elles soient portées à la connaissance du public, elles deviennent le plus souvent source de difficultés et cause de tracasseries pour celui ( celle ) qui en est l'objet : dans un passé récent, les accusations d'hystérie et les persécutions qu'eurent à subir Padre Pio ou Theres Neumann à cause des faits extraordinaires qui signalaient leur vie, en sont des exemples devenus classiques2. Aussi n'y a-t-il rien de surprenant à ce que les personnes sujettes à d'authentiques lévitations s'efforcent de les cacher aux regards extérieurs... et que l'étude en soit rendue parfois difficile.
Lorsqu'un spécialiste des phénomènes psychiques aborde la question de la lévitation humaine, il évoque presque inévitablement Joseph de Copertino ( 1603-1663 ), originaire de la Pouille, en Italie méridionale. Non, certes, parce que c'est un saint catholique, mais parce qu'il est sans conteste le cas le plus étonnant de lévitation que l'on connaisse à ce jour, de surcroît le mieux documenté et le plus solidement attesté : ce n'est pas sans raison qu'on l'a surnommé de son vivant le frère volant et, après sa canonisation, le saint volant. A l'évidence, il représente, dans l'histoire universelle de la psychokinèse comme dans l'hagiographie chrétienne, une illustration unique de la lévitation, tant par le nombre et la durée de ses élévations au-dessus du sol, que par la variété de formes que celles-ci empruntent. En outre, le théologien et l'historien de la spiritualité s'intéresseront à la connexion entre les étapes du cheminement intérieur du mystique et l'évolution des phénomènes extraordinaires auxquels il est sujet.
La production de phénomènes corporels extraordinaires n'est pas une exclusivité de la mystique chrétienne3. La lévitation se retrouve dans diverses religions et même hors de tout contexte religieux, notamment dans le cadre de séances de médiumnité qui, depuis le XIXe siècle, l'ont portée à la connaissance du grand public. Le médium le plus célèbre de tous les temps est sans doute Daniel D. Home : les manifestations insolites que l'on porte à son crédit ont amené ses admirateurs à le présenter comme l'égal, dans le monde médiumnique, de saint Joseph de Copertino dans l'hagiographie. Même un esprit aussi positif que Charles Richet n'hésite pas à faire l'amalgame :
Ces faits étranges de lévitation, qu'il s'agisse de saint Joseph de Copertino, de Stainton Moses ou de D. Home, méritent d'être retenus. Et pourtant, malgré l'autorité et le nombre des témoignages, il ( me ) paraît que la science, l'inexorable science, n'a pas encore le droit de considérer présentement la lévitation comme un phénomène démontré4.
Toute la question est là : la lévitation se démontre-t-elle, a-t-elle été démontrée scientifiquement chez des êtres humains, qu'ils soient des mystiques ou non ? Une étude comparative des faits attestés chez saint Joseph de Copertino et chez Daniel D. Home permet, sinon de répondre entièrement à la question, du moins de proposer, à partir de faits observés par de nombreux témoins dont il serait téméraire de mettre en doute la bonne foi, les éléments d'une réflexion sur le phénomène.
~ Le Saint Volant
Les faits relatifs à saint Joseph de Copertino ont été étudiés dans le cadre exigeant de la procédure qui aboutit à sa canonisation en 1767. Par chance, celui que l'on appelle aujourd'hui le promoteur de justice l'avocat du diable était alors le cardinal Prospero Lambertini, réputé pour sa probité intellectuelle et sa rigueur scientifique : confronté aux prodiges attribués au serviteur de Dieu, il multiplia les objections et fit mener sur chaque point une enquête d'une extrême précision, qui parfois dura plusieurs mois. Non qu'il voulût empêcher la cause d'aboutir contraire, il entendait bien, en se gardant de toute concession à l'enthousiasme et à l'imagination des témoins, ne retenir que les faits dûment établis, donc susceptibles d'être attribués à une cause surnaturelle. C'est lui qui, devenu pape sous le nom de Benoît XIV, béatifia Joseph en 1753. Dans son célèbre ouvrage sur les béatifications et canonisations, il fît des lévitations du futur saint un cas d'école :
Alors que je remplissais la charge de promoteur de la Foi, la cause du vénérable serviteur de Dieu, Joseph de Copertino, vint en discussion devant la Sacrée Congrégation des Rites. Après mon départ, on parvint à une conclusion favorable : dans cette cause, des témoins oculaires, d'une honnêteté indiscutable, attestèrent les fameuses élévations au-dessus du sol et les vols prolongés du serviteur de Dieu sus-nommé, alors qu'il était ravi en extase5.
Les actes du procès de canonisation sont devenus pratiquement introuvables il ne reste que deux exemplaires connus de la Positio avec le Summarium6, mais ils ont été utilisés largement et avec bonheur par les biographes du saint : Angelo Pastrovicchi écrivit sur l'ordre de Benoît XIV la Vita qui fut insérée dans les Acta Sanctorum des Bollandistes7, et Domenico Bernino, évêque d'Osimo ( ville où mourut Joseph ) rédigea une vie plus accessible au grand public8. Les ( longues ) citations de l'un et de l'autre auteur, empruntées aux actes du procès, se recoupent à la virgule près.
Les actes du procès de canonisation en ont retenu plus de soixante-dix exemples, parmi les mieux attestés, dans la seule ville de Copertino ou dans les environs. Or Joseph a quitté la cité en 1639. Transféré par ordre de l'Inquisition au monastère d'Assise, il y resta quatorze ans et y eut ses extases les plus remarquables un séjour de quatre ans chez les capucins de Pietrarubbia, dans les Marches, il finit ses jours parmi ses frères conventuels à Osimo toujours dans les Marches en 1663, au terme de six années passées « au secret » sur ordre exprès du pape Alexandre VII.
~ Abandonne-toi...
Répondant à une vocation rudement contrariée, Giuseppe Maria Desa a été reçu enfin chez les frères mineurs conventuels de la Grottella, ermitage sis à un jet de pierre de Copertino, son village natal. Au terme de cinq années de vie religieuse, il est ordonné prêtre en 1627, par miracle, dira-t-il plus tard : en effet, ignorant, maladroit et timide, il aurait été tout à fait incapable de passer l'examen requis pour l'admission au sacerdoce. Or, par un providentiel concours de circonstances, l'âne tel est le surnom que lui-même se donne a été dispensé in extremis de l'épreuve. Il a 27 ans. Pendant deux ans, il connaît une grave crise spirituelle : inapte aux études, malgré ses efforts et sa bonne volonté, sans cesse repris par les frères, découragé à cause de ses propres manquements à la Règle, il doute de lui-même, de sa vocation, de son salut. Pour l'humilier, ses supérieurs lui refusent une bure neuve quand la sienne est en loques, lui faisant bien sentir qu'il n'est pas digne de porter l'habit franciscain. Près de céder au désespoir, il se retire en larmes dans sa cellule, et voici qu'un mystérieux personnage dépose sur le rebord de la fenêtre une tunique propre, parfaitement coupée à sa mesure. C'est la fin de l'épreuve.
Peu importent désormais les avanies qu'il subit de la part de ses frères, le mépris que manifestent ses maîtres face à son ignorance, il a retrouvé la paix intérieure et, avec elle, la joie. Sa prière, désormais sereine, se fait silencieuse et admirative contemplation de la miséricorde de Dieu, de la tendresse maternelle de la Vierge Marie qui, avouera-t-il plus tard sans autre précision, lui « accorde des grâces continuelles ». Au réfectoire, la lecture des vies des saints l'enthousiasme, il veut imiter leurs vertus, prend exemple sur eux pour se livrer en secret à la pénitence, se retire dans la proche chapelle abandonnée dédiée naguère à sainte Barbe, s'y infligeant à l'abri des regards de sanglantes flagellations. On remarque qu'il s'intériorise, évitant non seulement les conversations avec les visiteurs de passage au couvent, mais encore les paroles inutiles dans la communauté, où la règle du silence est quelque peu malmenée. Pendant les repas, il est tellement attentif à la lecture spirituelle qu'il en oublie de manger, on le voit en larmes, perdu dans ses pensées. Un jour, tandis que le supérieur lit un texte sur l'Incarnation du Verbe, Joseph sent son coeur comme « traversé par un poignard » : il pousse un grand cri, on sursaute, tous les yeux se tournent vers lui, il rougit et baisse la tête. L'incident se reproduit, on s'y habitue. Certains commencent à comprendre. Pendant le carême de 1630, alors qu'il est en adoration devant le Saint-Sacrement dans la chapelle des clarisses de Copertino, on le voit immobile, les yeux grand ouverts fixés sur l'hostie, le visage transfiguré. Un ordre de son confesseur qui est aussi son oncle le ramène brutalement à la réalité : l'extase a été interrompue. Rouge de confusion, Joseph sent les regards posés sur lui. Bientôt, c'est de notoriété publique : le frère pénitent de la Grottella est extatique.
Le 4 octobre, fête de saint François d'Assise, Joseph se rend chez les clarisses pour la célébration des vêpres. Tandis que les fidèles se rangent en procession, il arrive, prêt à exposer le Saint-Sacrement. Soudain,
l'admiration des religieux et des habitants de Copertino ne fut pas mince, quand ils le virent, revêtu de la chape, s'envoler jusqu'à la chaire, haute de quinze palmes, et se poser sur le rebord où il resta longtemps agenouillé, les bras en croix9.
Le fil s'est rompu, qui rattachait encore Joseph à la terre. On imagine la stupeur, puis l'enthousiasme de la foule, qui l'a vu soulevé du sol par une force invisible et volant telle une flèche au-dessus des têtes pour s'aller percher sur le rebord de la chaire ! Quant à lui, horrifié par ce qui lui arrive, il se lamente : qu'attend le Très Haut de lui, pauvre frère, prêtre ignorant, sans aptitudes, rempli de misères ? Une voix intérieure lui répond, qui n'admet point de réplique :
Déjà tout le peuple a remarqué tes extases, et tous savent que tu fais pénitence. Alors, abandonne-toi, laisse-toi déposséder de tout vouloir propre10!
Il n'est plus que d'accepter la volonté de Dieu...
~ Le fracas de la détonation...
A partir de ce 4 octobre 1630, les lévitations sont fréquentes et spectaculaires. Joseph est tout à fait conscient du phénomène. Il s'évertue tant bien que mal sans réel succès à le cacher à son entourage. Il le sent venir avec l'extase et ne peut y résister :
Quand, dans le fusil, la poudre s'embrase, elle projette à l'extérieur la décharge, dans le fracas de la détonation. Ainsi en est-il du coeur extatique, embrasé par l'amour de Dieu 11.
Chaque jour, quand il célèbre la messe, il est ravi hors de lui au moment de la consécration alors du sol, ne touchant plus terre que par l'extrémité de l'orteil. Il reste dans cette position que l'on pourrait qualifier de semi-lévitation jusqu'après la communion. Il lui arrive aussi d'être soulevé entièrement, semblant flotter au ras du sol.
En dehors de la messe, le phénomène est causé par les événements les plus anodins, la vue d'une image de dévotion, un chant religieux, la beauté d'une fleur, la parfaite géométrie d'un oursin, la texture d'une feuille de cerisier... tout est prétexte à ravissement. Frère Joseph pousse un cri, tombe aussitôt en extase, est enlevé d'un coup. Extase et lévitation sont étroitement liées. Il effectue alors de véritables vols, pour aller se poser sur un autel ou une corniche, sur un meuble, sur le premier point d'appui venu :
En ma qualité de pâtre, je gardais les troupeaux aux abords de la Grottella. La veille de Noël, frère Joseph vint nous trouver, moi et les autres bergers de la plaine, et nous demanda : « Ne voulez-vous pas, la nuit prochaine, venir jouer de vos musettes dans l'église de la Grotella, en signe de joie pour la naissance de Jésus-Christ ? ». A cette invitation, les bergers et moi, en grand nombre, nous nous réunîmes avec nos fifres et nos hautbois. Frère Joseph vint à notre rencontre, tout joyeux. Nous pénétrâmes ensemble dans l'église, lui en tête, nous derrière, vers dix ou onze heures du soir, jouant dans la nef d'une multitude de fifres et de musettes. Nous vîmes alors frère Joseph se mettre à danser dans la nef au son de notre musique, tant il était joyeux. Tout à coup, il soupira et poussa un grand cri et, du milieu de l'église, il vola comme un oiseau jusqu'au maître-autel, où il embrassa le tabernacle. Or, du milieu de la nef jusqu'à l'autel, la distance est de quelque cinquante cannes. Mais le plus beau de l'affaire est que, l'autel étant couvert de flambeaux allumés, frère Joseph vola, se posa au milieu des flambeaux sans renverser une bougie ni un chandelier. Il resta ainsi sur l'autel, agenouillé et serrant le tabernacle dans ses bras, un quart d'heure environ quoi il descendit de l'autel, sans l'aide de personne, ne dérangeant rien. Il s'éloigna de nous, les yeux et les joues baignés de larmes, nous disant : « Mes frères, c'est assez, soyez bénis pour l'amour de Dieu ! » Nous étions tous effrayés de dévotion ( sic ) et fort étonnés. Je me dis intérieurement : « C'est certainement un miracle12».
Semblables incidents se produiront jusqu'à la fin de son existence, et dans les circonstances les plus délicates de sa vie religieuse :
La cité de Naples resta également en admiration devant ses rapts prodigieux par ordre de l'inquisiteur et célébra la messe dans l'église Saint-Grégoire-l'Arménien, qui appartient aux moniales de San Ligorio. Là, après avoir poussé un grand cri, il s'élança de l'endroit où il récitait ses prières et vola jusqu'à l'autel, où il se posa, les bras en croix, parmi les fleurs et les cierges allumés, si bien que les religieuses se mirent à hurler : « Il va brûler ! Il va brûler ! » un grand cri, revint du même vol jusqu'au milieu de la nef où il se posa doucement à genoux, sans aucun mal, chantant : « Ah, bienheureuse Vierge ! Ah, bienheureuse Vierge !13».
Où qu'il se pose, il ne dérange ni ne renverse jamais rien. On le voit ainsi retomber en douceur sur une table encombrée de fioles et de pots de pharmacie au chevet d'un malade, sans même effleurer un seul des récipients. Parfois, quand il est en plein air, il va se percher sur un arbre comme un oiseau :
Un jour, comme un prêtre lui disait : « Frère Joseph, quel beau ciel Dieu a fait ! », il s'envola sur un olivier, restant agenouillé sur une branche durant une demi-heure. Et, chose stupéfiante, on voyait la branche osciller comme si un oiseau eût été posé dessus 14.
Une autre fois, c'est un amandier qui le reçoit :
Comme il était monté sur une terrasse, le religieux prêtre qui l'accompagnait lui désigna du doigt la coupole du fameux sanctuaire de Notre-Dame de Lorette, que l'on voyait au loin. S'immobilisant, Joseph lui demanda, l'air surpris : « Voyez-vous ces anges qui descendent du ciel, et qui vont et viennent autour de cette sainte maison ? ». Disant et répétant ces paroles, il poussa son cri habituel, tomba en extase et vola sur une hauteur de douze bonnes palmes jusqu'à un amandier situé à six jets. C'était le dixième jour de juillet 1657, où on célébrait les vêpres de saint Joseph dans le couvent de Saint-François des frères mineurs conventuels, à Osimo15
Dans les premiers temps, à la Grottella, des centaines de fidèles et de curieux viennent s'édifier au spectacle des lévitations de celui que déjà on n'appelle plus que le frère volant. Parfois ils sourient : Joseph a perdu ses sandales pendant son essor, ou bien il ne parvient pas à descendre de l'arbre sur lequel il a abouti. De telles scènes, plus cocasses qu'édifiantes, n'ont pas l'heur de plaire aux autorités religieuses, quand bien même le bon peuple s'en réjouit. Le trouble qu'apportent ces extravagances au réfectoire ou au choeur, le désordre qu'elles engendrent durant les célébrations religieuses, amènent les supérieurs du moine à prendre contre lui des mesures répressives : exclusion de certains exercices de la communauté, interdiction de participer aux cérémonies liturgiques. Signes avant-coureurs de persécutions. Il en souffre, se soumet.
~ Sois dans la joie...
Parmi les particularités de Joseph de Copertino en ses lévitations, la plus intéressante est la faculté qu'il a d'entraîner avec lui objets et personnes. Un épisode bien connu mais discuté est celui de la croix que ses confrères veulent ériger sur un monticule proche de la Grottella :
Deux croix étaient déjà placées, mais dix personnes unissant leurs efforts ne pouvaient déplacer la troisième : elle était fort lourde et mesurait cinquante-quatre paumes de haut. Voyant cela, Joseph, plein d'ardeur, vola de quatre-vingt pas de la porte du couvent jusqu'à la croix. Il souleva celle-ci comme si c'était une plume, et la plaça dans le trou creusé pour la recevoir. Ces croix étaient l'objet d'une spéciale dévotion de sa part et, d'une distance de dix ou douze pieds, il s'élevait jusqu'à l'un des bras au sommet de la croix, attiré par son Sauveur crucifié 16.
Les témoignages recueillis plus de trente ans après l'incident divergent, il est vrai, sur des points de détail, notamment les distances. Mais peut-on en conclure, comme le fait Herbert Thurston, que tout n'est qu'imagination17? D'autres incidents plus spectaculaires sont dûment attestés, notamment l'enlèvement de Baldassare Rossi :
Un certain homme noble, dément et fou furieux, fut amené à Joseph lié sur une chaise, afin que le frère implorât de Dieu sa guérison. Joseph le détacha et le fit agenouiller dans le sanctuaire et, debout devant lui, lui imposa les mains sur la tête en disant : « Seigneur Baldassare, ne crains rien, recommande-toi à Dieu et à sa très Sainte Mère ! » Disant cela, il le prit par les cheveux et, tombant en extase après avoir poussé son cri habituel, il s'éleva de terre, emportant avec lui Baldassare, qu'il tenait toujours par les cheveux l'ayant soutenu ainsi quelques instants dans les airs, à la stupéfaction des assistants, il le déposa bientôt sur le sol et lui dit : « Sois dans la joie, seigneur Baldassare18! ».
Revenu sur la terre ferme, Baldassare Rossi se retrouve parfaitement guéri. On l'eût été à moins, une telle thérapie est plus efficace qu'un électrochoc !
Semblable mésaventure ( ou grâce ? ) arrive au confesseur des clarisses de Copertino, que Joseph entraîne dans une ronde aérienne lors d'une cérémonie de prise d'habit, au chant du Veni sponsa Christi Raffaele Palma, gardien du couvent d'Assise qui, s'étant risqué à répéter après frère Joseph l'antienne Pulchra est Maria, se voit à son grand effroi soulevé à une bonne hauteur au-dessus du sol19.
L'épisode le plus charmant se déroule chez les capucins de Fossombrone, le deuxième dimanche après Pâques de l'année 1654
C'était le dimanche de l'évangile Ego sum Pastor bonus ( je suis le bon pasteur ). Le soir, après souper, Joseph se rendit au jardin avec les frères pour le regarder.
Comme il semblait vouloir le saisir, un jeune frère le lui mit entre les mains. Jésus pressa avec tendresse l'agnelet contre sa poitrine puis, le prenant par les pattes, le plaça en biais sur son épaule. Insensiblement et par degrés, le saint s'animait. Enflammé par l'esprit de Dieu, il doubla le pas et se mit à courir à travers le jardin. Les frères, et avec eux de pieux laïcs, le suivaient, curieux de voir à quoi aboutirait ce transport.
Bientôt ils aperçurent l'agneau et Joseph dans les airs : en vertu d'une force surnaturelle, l'animal avait été lancé en l'air par le saint qui, presque au même moment, s'était à son tour soulevé à la suite de l'agneau à la hauteur des arbres du jardin.
Il resta ainsi, à genoux, durant plus de deux heures, c'est-à-dire jusqu'à une demi-heure après le coucher du soleil20.
Malheureusement, on ne nous relate pas la réaction de l'agneau. A-t-il seulement bêlé, ou bien était-il, lui aussi en extase ? Il est revenu indemne sur terre, avec Joseph.
~ Le prince se mit à pleurer...
On parle bientôt du frère de la Grottella dans toute l'Italie, et même à l'étranger. Venant de cités voisines ou de contrées lointaines, de puissants seigneurs, des prélats circonspects, de riches commerçants, veulent voir le prodige, tantôt sceptiques et bien vite convaincus, tantôt curieux avides de merveilleux, le plus souvent chrétiens fervents désirant s'édifier. Le Père Provincial commet alors une maladresse insigne : il entraîne le frère volant dans une tournée des maisons de l'Ordre, sous le prétexte de mettre a profit ses dons extraordinaires pour ramener les communautés à une observance plus stricte. Cette exhibition n'est ni du goût de l'intéressé, ni de celui de la Sainte Inquisition : la tournée triomphale s'achève devant les tribunaux de la Suprema à Naples, puis à Rome. évidemment, il ne se passe rien durant les interrogatoires, et déjà les inquisiteurs crient à l'imposture, à l'exaltation, font rédiger les actes de condamnation. Mais quand Joseph est conduit devant le pape Urbain VIII, un esthète cultivé et sceptique, le miracle se produit :
Le Père Général mena Joseph aux pieds du Souverain Pontife Urbain VIII. Contemplant alors dans le pape la figure de Jésus-Christ, le frère fut ravi en extase et soulevé de terre jusqu'à ce que le Père Général le rappelât le pape dit à ce dernier que si Joseph mourait durant son pontificat, il déposerait lui-même comme témoin21.
Durant son séjour à Rome, Joseph reçoit la visite de nombreux cardinaux et évêques, parmi lesquels plusieurs l'honoreront de leur amitié. Bien qu'ils interviennent pour le faire affecter définitivement au couvent des Saints-Apôtres, ses supérieurs l'assignent à résidence à Assise, loin de sa terre natale, de son cher sanctuaire de la Grottella. Les treize années d'exil dans le protomonastère franciscain sont celles des lévitations les plus spectaculaires, et de nouvelles manifestations extraordinaires : le corps de Joseph exhale une fragrance suave, qui deviendra de plus en plus pénétrante au fil des années, et qu'il s'efforcera de dissimuler sous l'odeur du tabac à priser parfois, son visage s'auréole d'un halo de lumière on lui attribue des miracles de guérison, des prodiges de bilocation. Ses lévitations, plus fréquentes, sont aussi plus éclatantes à une hauteur impressionnante, dix mètres parfois. Son ami et confident dom Rosmi, théologien bénédictin, en tient le journal de 1645 à 1652, mais il doit renoncer à cause de la fréquence et du nombre des phénomènes, auxquels s'ajoutent des vexations diaboliques.
Quand on sait que le moine volant est reclus à Assise, on vient en foule l'y voir. Alors la célébration publique de la messe lui est interdite, les visites prohibées. Mais les plus grands noms sollicitent de Rome le laissez-passer qui leur permet de le rencontrer. Il reçoit ainsi le prince Jean Casimir, futur roi de Pologne, avec qui il s'est lié d'amitié à Rome, et qui le fera connaître dans son pays cardinal Odescalchi, plus tard élu pape sous le nom d'Innocent XI, à qui il annonce sa future élévation au pontificat suprême Amiral de Castille et légat à la cour pontificale qui, avec son épouse et leur suite, assiste en 1645 à une lévitation :
Appelé par l'obéissance dans l'église, et ayant levé les yeux vers la statue de Marie Immaculée qui était sur l'autel, il s'éleva, les jambes ployées, et vola au-dessus de la tête des assistants sur une distance de douze pas la Reine du Ciel, il passa par-dessus elle en poussant son cri habituel, avant de regagner à pied sa cellule, laissant frappés d'une sainte stupeur le Grand Amiral, son épouse et leur nombreuse suite22.
Bernino ajoute que doña Enriquez s'est évanouie d'émotion, et qu'il a fallu force sels et fumigations ( sfumiggio ) pour la faire revenir à elle.
En 1651 a lieu la lévitation la plus lourde de conséquences et, partant, la plus célèbre. Le prince allemand Jean-Frédéric de Brunswick visite diverses capitales européennes volant, et plus que sceptique sur la réalité des phénomènes que l'on attribue à celui-ci, il décide d'aller s'informer sur place. Aussitôt, de nombreux cardinaux et évêques écrivent alors à Joseph pour recommander à sa prière la conversion du jeune prince, luthérien convaincu. Le 5 février, ce dernier et deux de ses compagnons assistent à la messe de Joseph, à l'insu de celui-ci :
Comme Joseph allait partager l'hostie, il sentit qu'elle était très dure et, ayant en vain tenté de la rompre, il la reposa sur la patène. Les yeux fixés sur la sainte hostie, il se répandit en clameurs véhémentes puis, ayant poussé un cri strident, s'éleva soudain en l'air, et là, en position agenouillée, recula de cinq pas. Puis, étant redescendu à l'autel après un deuxième cri, il réussit à rompre l'hostie, non sans efforts. Plus tard, comme le supérieur lui demandait de la part du prince la cause de ces étrangetés, il répondit : « Les trois que tu m'as envoyés ce matin à la messe sont durs de coeur, car ils ne croient pas tout ce que croit notre Sainte Mère l'Eglise aujourd'hui l'Agneau s'est durci entre mes mains, et je n'ai pu le partager23! »
Troublé par la réponse, le prince obtient un entretien avec Joseph, qui l'engage à revenir à sa messe le lendemain :
A cette messe, un croix de couleur noire apparut dans l'hostie au moment où le célébrant l'élevait, tandis qu'il était soulevé du sol après avoir poussé son cri habituel levés, à une palme au-dessus des marches de l'autel, durant la huitième partie d'une heure. A la vue de ces prodiges, le prince se mit à pleurer amèrement, tandis qu'un de ses compagnons, également hérétique, gémissait avec indignation : « Malheureux que je suis d'être venu dans ce pays ! vraiment, voici que m'assaillent des troubles et des scrupules de conscience !24»
Les phénomènes impressionnent le jeune prince ( il a vingt-cinq ans ). Les longs et confiants échanges qu'il aura ensuite avec Joseph de Copertino seront plus déterminants dans sa conversion. Ayant quitté Assise catholique de coeur, il abjurera publiquement l'année suivante et, devenu duc souverain de Brunswick, introduira la liberté de culte dans ses états. Plusieurs de ses amis le landgrave de Hesse-Rheinfels, le pasteur Julius Blume, entre autres se convertiront à leur tour. Blume, qui avait accompagné le prince et qui s'était lamenté d'avoir effectué le voyage, résistera deux ans. Ils favoriseront la création dans le nord de l'Allemagne luthérienne d'un vicariat catholique, lointain présage d'un rétablissement par le Saint-Siège de la hiérarchie épiscopale dans le pays.
~ Au nom de la sainte obéissance...
En 1653, un ordre du pape Innocent X fait transférer le frère volant chez les capucins de Pietrarubbia. La politique pontificale ne s'accommode guère des amitiés qu'il a nouées avec certaines cours souveraines, avec plusieurs prélats. Il est temps d'éloigner l'importun... d'autant plus que des adversaires du pape la duchesse de Mantoue, le duc de Parme, ne cachent pas leur estime pour Joseph. L'ombrageux pontife, immortalisé par le pénétrant portrait qu'en a fait Vélasquez et les étonnantes variations sur le thème réalisées par Francis Bacon, ne tolère point de lumière sur sa propre gloire, serait-ce celle d'un saint. Les mesures d'isolement se durcissent, Joseph accepte tout sans murmurer. Quatre années chez les capucins lui valent auprès de ceux-ci une telle popularité que le nouveau pape, Alexandre VII, prend des mesures draconiennes : Joseph est séquestré dans une maison de son Ordre à Osimo, avec interdiction formelle de recevoir des visites, de parler avec les hôtes de passage, seraient-ils princes ou cardinaux, d'écrire et de recevoir du courrier : toute la correspondance qui lui est adressée est aussitôt renvoyée au Vatican. Le cardinal secrétaire d'état va jusqu'à ordonner aux supérieurs ecclésiastiques de mentir, de répondre aux curieux et même aux amis du moine que celui-ci n'est pas à Osimo ! Pourtant, plusieurs visiteurs affirment catégoriquement avoir senti dans le couvent l'odeur de sainteté de Joseph. Les requêtes qu'adressent à Rome les plus hauts personnages pour obtenir un droit de visite, ou simplement celui de confier par écrit leurs intentions au thaumaturge, sont impitoyablement écartées : la reine Christine de Suède est éconduite, tout comme le roi de Pologne, le duc de Brunswick, et même les émissaires de l'empereur. C'est l'heure du martyre pour le pauvre frère, privé de tout appui humain, de tout ministère. Il obéit sans protester, consacre ses dernières années à prier et à faire pénitence pour l'Eglise. Cette persécution n'empêche pas les extases et les lévitations de se poursuivre, de même que les miracles de guérison à distance, et la communauté entoure de sa vénération celui qu'elle tient pour un saint.
C'est à Osimo qu'il meurt, le soir du 17 septembre 1663, fête des stigmates de saint François, après une agonie sereine, le visage transfiguré par une lumière surnaturelle. Il a célébré sa dernière messe le 15 août précédent, pour l'Assomption de la Vierge Marie, puis on le lui a interdit, à cause de sa faiblesse. Faiblesse qui ne l'a pas empêché d'avoir, quelques jours avant sa mort, une ultime lévitation :
Au temps de sa dernière maladie, je dus, conformément aux prescriptions du médecin Giacinto Carosi, poser un cautère à la jambe droite. Le Père Joseph était assis sur une chaise, la jambe placée sur mon genou. Comme j'appliquais le fer pour l'opération, je m'aperçus qu'il était déjà ravi hors des sens et totalement abstrait de la réalité étaient étendus, les yeux ouverts et levés vers le ciel, la bouche à demi béante paraissait avoir complètement cessé. Je remarquai qu'il était élevé d'une palme environ au-dessus de sa chaise, dans la même position du reste qu'avant l'extase. J'essayai d'abaisser la jambe, n'y pus parvenir : elle resta étendue. Une mouche s'était posée sur la pupille de l'oeil elle s'obstinait à revenir au même endroit finalement, je dus l'y laisser. Afin de mieux observer le Père Joseph, je m'agenouillai. Le docteur Carosi examinait avec moi. Nous reconnûmes tous les deux, très visiblement, que le Père Joseph était ravi hors de ses sens, et qu'en outre il était bien réellement soulevé en l'air comme je l'ai dit. Cette situation durait depuis un quart d'heure lorsque survint le Père Silvestro Evangelista, qui habitait le couvent d'Osimo. Après avoir observé le phénomène, il commanda à Joseph au nom de la sainte obéissance de revenir à lui, l'appelant par son nom. Joseph sourit et reprit ses sens 25.
Cette déposition du chirurgien Francesco de Pierpolo est le dernier des multiples témoignages relatifs aux lévitations de Joseph de Copertino. Le nombre des faits, attestés par une foule de témoins directs, leur variété et la précision des circonstances dans lesquels ils se sont produits depuis le 4 octobre 1630, autorisent difficilement à en révoquer en doute la réalité. Les centaines de personnes qui ont vu le frère volant soulevé du sol, et plus encore celles qui ont été emportées dans ses lévitations, ne peuvent avoir toutes été victimes d'hallucinations ou d'illusions. A ce jour, saint Joseph de Copertino est le cas de lévitation le plus remarquable que connaisse non seulement la tradition hagiographique chrétienne, mais l'histoire générale des phénomènes extraordinaires.
~ Le Prince des Médiums
Dans le domaine de l'hagiographie, nul ne songeait à faire la preuve du prodige, tant était ancienne la tradition quant à la réalité : on s'en tenait aux témoignages sous serment des personnes qui avaient vu . Mais observations et constatations ne sont pas des démonstrations scientifiques. Or, à l'inverse du mystique, le médium accepte( rait ) de se prêter à des tests et des contrôles visant à établir la réalité du phénomène, sa possible répétitivité, son caractère subjectif : chez certains sujets prédisposés, il se produirait sur commande, ce qui bouscule toute la tradition lui attribuant un caractère d'exceptionnelle gratuité. L'étude des lévitations de Daniel D. Home on en a recensé une centaine permet de les comparer avec les manifestations similaires observées autrefois chez saint Joseph de Copertino.
~ M. Home fut enlevé en l'air...
Daniel D. Home est né en 1833 à Currie, près d'édimbourg ( écosse ). Fils d'un modeste paysan, il connaît une enfance difficile à cause d'une santé des plus précaires et de l'alcoolisme de son père : gamin souffreteux, peut-être victime d