

Paiement sécurisé
Livraison en 48H
Les livres sont déductibles des frais professionnels
Offrez le en cadeau
Une oeuvre majeure qui a permis à Joachim Bouflet de devenir le meilleur spécialiste mondial de l'étude de la vie mystique. L'auteur, historien du Vatican et de la Congrégation de la cause des Saints, a établi un travail réellement impressionnant en recensant dans ce Tome 1 les phénomènes objectifs de la sainteté.
Tables des Matières du Tome I
Avant-propos 13
Remerciements 17
Chapitre 1 - La lévitation 19
Maman, une femme qui vole ! 20
Tradition hagiographique et signification spirituelle 22
Saint Joseph de Copertino 24
Quelques cas remarquables du XIXe siècle 25
Ana de Jesús Magalhaës 28
Francisca Ana Cirer Carbonell 30
D'autres femmes volantes au XIXe siècle 32
Quelques cas de lévitation au XXe siècle 34
Des lévitations diaboliques ? 42
Des lévitations sans connotation mystique 46
Prodiges de célérité et marches extatiques 48
A la recherche d'une explication 52
La lévitation, signe de sainteté ? 63
Annexe : lévitations aux XIXe et XXe siècles 67
Chapitre 2 - Les phénomènes lumineux 71
I. Des cornes de Moïse à l'auréole des saints 74
Le reflet de la gloire de Dieu 78
Fioretti d'hier et d'aujourd'hui 80
Etoiles, boules de feu et étincelles 83
Et à l'heure de notre mort 84
A la recherche d'une explication 87
II. La lumière visible, signe de l'invisible 90
Des lumières par-delà la mort 90
Une lumière de vie 93
La lumière des images vivantes 95
Chapitre 3 - Incendium amoris 101
Un amour séraphique 102
Palma et Rosa 106
Brûlures mystiques 109
Gemma et sa soeur d'âme 111
Vive flamme d'amour 115
Flamme apostolique 121
Annexe : stigmatisation et transverbération 125
Chapitre 4 - L'odeur de sainteté 127
La bonne odeur du Christ pour Dieu 130
Trois Françaises 141
Une télékinésie moléculaire ? 143
Objets parfumés 145
Marie Mesmin, concierge à Bordeaux 146
Effluves célestes et odeur fétide 149
Le signe d'une présence surnaturelle 151
Fragrances mtahomaes 155
Singeries 158
Natuzza Evolo 161
Chapitre 5 - L'émission de substances hétérogènes 169
I. Le corps humain, instrument de dons divins ? 170
Huiles et baumes 171
Les roses de la charité 180
Le cas le plus extraordinaire 182
Fleurs de la fiancée ou parure de la victime 186
II. Les images qui pleurent et qui saignent 189
Sept miracles récents 189
Miracles nombreux et anciens 200
Quelques faits au regard de la critique 211
Statues miraculeuses, stigmates et apparitions 232
Annexe I : phénomènes sur des images saintes 254
Annexe II : du mauvais usage des prodiges 288
Chapitre 6 - Phénomènes accompagnant la mort 327
La mort d'une candidate à la sainteté 328
I. Signes de vie après la vie 335
La chaleur et les couleurs de la vie 335
Mouvements insolites 338
Du sang, de la sueur et des larmes 342
II. Fragrances de l'au-delà 346
Narcisa de Jesús 348
Longtemps après la mort 349
Révélation de la sainteté du sujet ? 352
Le cas de soeur Marie-Céline 356
III. L'absence de rigor mortis 358
Chapitre 7 - L'incorruption du corps 365
Le cas de Léonie Van den Dyck 367
I. Pas de miracles pour les saints 369
La pseudo-incorruption d'un corps saint 369
Momies saintes ? 371
Le cardinal et le pape 373
II. Incorruptions miraculeuses ? 375
Quatre saints français 376
Miracles en Italie 378
Des faits bien suivis 380
Mort, où est ta victoire ? 382
III. Du surnaturel au miracle 385
Transfigurations post mortem 386
Prévenir l'attente de l'Eglise 390
Inversion du processus nécrotique ? 391
Annexe : Corps saints au fil des siècles 395
Avant-Propos
Quelques jours après la parution de ce livre, dans sa première édition, l'académicien Jean Guiton m'invita à venir en parler avec lui. Il me mit en garde contre le danger qu'il y a à aborder le domaine délicat des phénomènes mystiques extraordinaires, et surtout à les vulgariser : et il n'était guère convenable d'aborder cette question face à laquelle l'Eglise elle-même se trouve mal à l'aise, oscillant en permanence entre une attitude de rejet de la part de certains clercs, et une crédulité déraisonnable chez d'autres. A ses yeux, seule la réflexion philosophique était en mesure d'ébaucher quelque piste de lecture de ces manifestations insolites.
Hormis le caractère a priori déconcertant de certains phénomènes, l'approche et l'étude de ceux-ci ne devraient pourtant poser aucun problème à l'Eglise : sa foi ne se fonde-t-elle pas sur le fait le plus inouï et le plus extraordinaire qui soit, la Résurrection du Christ ? Elle sait que rien n'est impossible à Dieu, et que ses voies ne sont pas les nôtres. Elle est riche d'une tradition spirituelle et mystique illustrée par des saints à prodiges dont elle a fait de certains des Docteurs : leur expérience a permis l'élaboration de critères de discernement, qui visent non pas à établir la réalité des faits allégués - c'est le travail de l'historien et de l'homme de science -, mais à en comprendre la signification. En effet, tout phénomène extraordinaire survenant dans l'Eglise - dans la personne d'un de ses membres ou au sein d'une de ses communautés - n'a de sens que s'il est signe de la présence agissante de Dieu au milieu de son peuple.
En effet, quand bien même est établie la réalité objective de tels prodiges, ils restent toujours secondaires par rapport au vécu de foi, d'espérance et de charité des personnes qui les expérimentent, et dont on dit avec une inconséquence bien légère qu'elles en sont « favorisées ». Il est, dans la terminologie des livres pieux, certains mots et expressions qu'il conviendrait de bannir : âmes privilégiées, saints favorisés de stigmates, et même âme-victime. La seule faveur que connaissent les fidèles vivant de telles expériences et leurs effets extraordinaires, est d'accomplir toujours mieux la volonté du Père qui est dans les cieux, « d'écouter la parole de Dieu et de la mettre en pratique » (Lc 11, 28) un - consiste à faire en sorte, à l'exemple de Jean-Baptiste, que Jésus croisse en eux - et, grâce à leur témoignage, dans le coeur de leurs frères -, et qu'eux-mêmes diminuent (cf. Jn 3, 30). L'humilité est la pierre de touche de toute expérience intérieure et, pour le catholique, elle se développe et s'épanouit dans l'obéissance filiale aux légitimes représentants de Dieu en son Eglise. La vie mystique, qui est vie d'amour, se déroule suivant une voie unique : l'imitation du Christ, dans le don total de soi, c'est-à-dire bien souvent dans la lutte contre les exigences et les revendications du « moi », dans la pauvreté intérieure, dans une dépossession de soi qui laisse le champ libre à l'action de la grâce, à la saisie de l'âme par Dieu.
Les faits extraordinaires jalonnent l'histoire de l'Eglise depuis ses origines. Ils existent toujours, ainsi que l'on peut s'en convaincre lorsque l'on étudie l'hagiographie contemporaine : les récents exemples d'un bienheureux Padre Pio (1887-1968), d'une Marthe Robin (1902-1981), en sont l'illustration. Par ailleurs, les médias se font parfois l'écho d'événements sensationnels de caractère religieux, qualifiées hâtivement de phénomènes surnaturels, voire de miracles : il n'est que de voir les articles de presse et les émissions télévisées consacrés à telle apparition alléguée de la Vierge Marie, à telle guérison opérée à Lourdes. Récemment, le bruit ayant entouré la publication du fameux troisième secret de Fàtima ou la découverte, lors de son exhumation, du corps resté intact du pape Jean XXIII, démontre - s'il en est besoin - que le surnaturel fait encore recette.
Or, l'examen critique de manifestations présentées comme des faits miraculeux, révèle combien sont fragiles et fluctuantes les frontières qui séparent l'authentique expérience mystique et les prodiges l'accompagnant, de toutes sortes de dérives et de contrefaçons favorisées par un engouement excessif pour le merveilleux et par la résurgence de déviations du sentiment religieux : il suffit d'évoquer le cas de mariophanies aussi contestées que celles de Medjugorje, en Bosnie-Herzégovine, de témoignages aussi troublants que celui de Vassula Ryden. La question qui se pose à l'Eglise dans ces cas précis, comme en face de tout phénomène extraordinaire, n'est pas seulement celle de la gestion des événements, mais une question de discernement. Son action ne saurait être réduite à une simple prise en charge pastorale des pèlerins qui affluent sur les lieux d'apparitions présumées, devant des statues qui pleurent ou qui saignent, ou sur la tombe de personnes mortes en odeur de sainteté : mère et éducatrice, l'Eglise se doit d'informer et de former les fidèles dans la vérité, et le souci de canaliser un élan de dévotion populaire motivé par des faits extraordinaires implique comme préalable que ces derniers ne soient pas controuvés, qu'ils ne soient pas le fruit de l'illusion ou d'une supercherie, si « pieuse » soit-elle. Tel est le sens des instructions données par la Congrégation pour la Doctrine de la foi en matière de révélations privées et autres manifestations extraordinaires, dans ses Normes relatives au discernement des esprits (27 février 1978).
Alors, pourquoi des problème surgissent-ils presque systématiquement lorsqu'un nouveau faits d'apparition est signalé, lorsqu'un événement d'apparence miraculeuse est porté à la connaissance du public ? Assurément parce que, le plus souvent, on inverse la démarche d'approche du phénomène, en privilégiant la gestion au détriment du discernement : c'est le fameux argument tant de fois rebattu des fruits auxquels on juge l'arbre. Mais aussi parce que certains théologiens tiennent pour quantité négligeable les manifestations extraordinaires dans la vie mystique, tandis que d'autres leur accordent une importance exagérée. Parce qu'on les considère, dans un sens ou dans l'autre, comme des faits anormaux dans la vie de l'Eglise. Une lecture neuve de ces phénomènes, qui les tiendrait pour ce qu'ils sont réellement - des faits normaux, quand bien même exceptionnels et toujours relatifs à la vie théologale - permettrait sans aucun doute de les considérer avec sérénité, au-delà des clivages, des tensions et des passions.
La deuxième édition de cet ouvrage - complété et mis à jour - est le fruit de rencontres providentielles similaires à celles évoquées dans l'avant-propos de la première édition. Mon éditeur a su me convaincre de reprendre le travail, rejoignant le voeu formulé par un courrier abondant de voir une réédition du livre, depuis quelques années épuisé. D'autres se rapprochent de mes premiers pas dans l'étude de la phénoménologie mystique : après avoir étudié autrefois la vie et l'influence de la célèbre stigmatisée et visionnaire allemande Anne-Catherine Emmerick (1774-1824), aujourd'hui Vénérable, j'ai été amené par mon travail de consultant auprès de postulateurs1 de causes de béatification à connaître d'autres cas de mystiques à phénomènes.
L'objet de cet ouvrage est l'étude des phénomènes extraordinaires dans la vie mystique : leur nature et leurs effets, certes, mais surtout leur place, leur insertion dans le cheminement intérieur des personnes qui les expérimentent. En effet, pour devenir signe, tout prodige doit correspondre à une réalité d'ordre supérieur qui non seulement en est la cause ou l'occasion, mais qu'il traduise, qu'il manifeste et à laquelle il réfère. Telle est la fonction de ces réalités insolites : ramener celui qui en est l'objet et ceux qui en sont les témoins à l'essentiel, à la source, c'est-à-dire à l'action de Dieu dans l'âme. Ce premier tome présente ce que je nomme phénomènes objectifs : ceux dans la production desquels la volonté du sujet n'intervient pratiquement pas. Le deuxième tome abordera les manifestations plus directement liées à l'activité psychologique de la personne humaine, et par là plus perceptibles à qui y est sujet (inédie, bilocation, télékinésie, etc.). Toute tentative de classification, en ce domaine, est délicate et somme toute peu satisfaisante : si la mienne paraît quelque peu arbitraire, elle présente l'avantage de permettre une étude méthodique et de proposer des voies d'approche relativement cohérentes.
Remerciements
Je voudrais exprimer mes remerciements aux personnes qui m'ont permis de mener à terme la deuxième édition de cet ouvrage. Il y eut, à l'origine, l'influence déterminante de Padre Pio, aujourd'hui bienheureux, que j'ai eu la grâce de rencontrer à San Giovanni Rotondo le 23 août 1968. Puis certains pères de l'Ordre des Carmes déchaux ont eu la bonté de m'initier à l'étude de l'oeuvre de sainte Thérèse d'Avila et de saint Jean de la Croix, et à leur spiritualité : je garde un souvenir ému et plein de gratitude des pères Victor de la Vierge (Sion) et Joseph de Sainte-Marie (Salleron), à présent décédés.
Je dois également à l'amitié du père Jacques Cachard, des Chanoines Réguliers de Saint-Augustin de la Congrégation de Windesheim, d'avoir approfondi la spiritualité carmélitaine dont il avait une remarquable connaissance « de l'intérieur ». Lui aussi s'en est retourné, prématurément, à la Maison du Père. Aux pères Heinrich Schleiner, vice-postulateur de la cause de béatification d'Anne-Catherine Emmerick, et Joseph Adam, rapporteur de cette même cause, ainsi qu'à Madame le professeur Grete Schött, membre de la commission épiscopale Anna Katharina Emmerick de Münster (Allemagne), vont également ma reconnaissance et mon souvenir : ils ont, à partir de la phénoménologie de la grande mystique allemande, élargi le champ de mes connaissances.
A la Congrégation pour les Causes des Saints, divers postulateurs de causes de béatification et canonisation n'ont ménagé ni leur temps ni leurs compétences pour me faciliter la tâche, m'ouvrant leurs archives et mettant à ma disposition des documents de première importance : qu'ils en soient ici chaleureusement remerciés.
Il me faudrait citer encore les prêtres qui me font l'honneur de leur amitié et qui ont bien voulu partager avec moi leur expérience pour guider mes recherches. Le respect de leur vie retirée m'oblige à ne les point nommer, mais ils savent combien leur aide et leurs conseils m'ont été précieux.
Les encouragements de plusieurs laïcs, et l'intérêt qu'ils ont porté à ces recherches, m'ont puissamment stimulé. Ma gratitude va aux docteurs Hubert Larcher, qui fut directeur de l'Institut Métapsychique International, et Philippe Wallon, ainsi qu'aux défunts docteurs Alain Assailly et André Cuvelier fondateurs de l'association A Rebours et de sa précieuse revue l'ouvrage Des prodiges et des hommes de Saint-André et à Christiane Rancé, ainsi qu'à Dominique de Courcelles Jehl et à Madeleine Rous Pascal Etcheverry, à Thierry Lopez et son épouse, à Eric Emo, à Mark Waterinckx, et à ceux dont l'amitié fidèle et discrète m'a constamment accompagné dans les étapes de ce travail.
A tous, je dédie ces pages, dans lesquelles ils retrouveront l'écho de nos échanges souvent passionnés, parfois contradictoires, mais toujours constructifs.
C h a p i t r e 1
La lévitation
Et à ces mots, sous leurs regards, il fut élevé et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils avaient les yeux fixés vers le ciel tandis qu'il s'en allait, voici que deux hommes se présentèrent à eux en habits blancs, et ils dirent : « Galiléens, pourquoi vous tenez-vous là, regardant vers le ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé d'auprès de vous vers le ciel, viendra de la même manière que vous l'avez vu s'en aller vers le ciel » (Ac 1, 9-11).
Dans son livre désormais classique, le père Herbert Thurston dit de la lévitation qu'elle est « un miracle physique fréquent dans les hagiographies, sujet qui se prête particulièrement à l'étude » 2. Si le récit des Actes des Apôtres illustre d'une certaine façon ce prodige, l'ascension corporelle du Christ ressuscité transcende le fait miraculeux lui-même, et la contemplation du mystère est susceptible de nous ouvrir à une lecture spirituelle et théologique de l'événement. Donc de nous faire comprendre sa signification dans l'ordre de la phénoménologie mystique.
De ce prodige - le plus spectaculaire parmi ceux que connaît l'histoire de la spiritualité chrétienne -, nous avons l'assurance qu'il est le plus objectif aussi, parce qu'il ne se prête ni à l'illusion, ni à la fraude : dès lors que les témoignages sont suffisants, il est impossible d'en nier l'évidence, alors qu'aucune des autres manifestations extraordinaires du mysticisme n'est à l'abri de contrefaçons ou de plagiats (volontaires ou non), ni de tentatives d'explication excluant une intervention supérieure aux forces naturelles connues. De surcroît, le fait de la lévitation est simple, et donc sujet moins que d'autres phénomènes à amplification ou à interprétation :
Etant donné une lumière suffisante et des conditions à peu près normales, le témoin le moins cultivé est compétent pour déclarer qu'une certaine personne se tient sur le sol ou est élevée dans l'air, d'autant plus que, à cause de l'état de transe du sujet de l'enquête, le témoin a toute possibilité d'approcher et de vérifier par le sens du toucher que le spectacle qu'il a sous les yeux n'est pas illusion 3.
Grâce aux moyens mis à notre disposition par les progrès de la technologie, la lévitation pourrait être facilement évaluée en termes de mesures scientifiques quant à sa matérialité. En revanche, les causes et les effets spirituels de phénomène échapperont toujours à l'investigation.
Maman, une femme qui vole !
Dans les premières années du XX° siècle, Edwige Carboni (1880-1952) - une laïque stigmatisée que de son vivant déjà d'éminents ecclésiastiques tenaient pour une sainte - mettait en émoi son village natal :
Je me rappelle qu'étant à jouer avec les autres fillettes à côté de l'église, j'y entrai à un certain moment pour réciter une prière. Je restai abasourdie en voyant la Servante de Dieu soulevée à plus d'un mètre au-dessus du pavement, dans l'attitude de la prière. Je ne pus faire autrement que de m'écrier : « Maman, une femme qui vole ! » Le curé, Don Solinas, sortit alors de la sacristie et m'ordonna de partir, mais je ne voulus pas lui obéir. Peu après, cette dame redescendit sur le prie-Dieu, et alors je retournai à l'école, où mes compagnes m'avaient précédée. Comme la maîtresse me grondait à cause de mon retard, je lui relatai le fait et l'invitai à venir à l'église, mais elle s'y refusa, peut-être parce qu'elle ne me croyait pas 4.
Le prodige eut d'autant plus de témoins qu'il se renouvela durant près de trente années, accompagné souvent d'autres manifestations insolites : aucune clôture de couvent ni aucune chambre de malade ne dérobaient l'extatique au regard du monde et celle-ci, malgré le soin qu'elle apportait à dissimuler les faveurs divines dont elle était l'objet, ne pouvait nullement se rendre maîtresse de leur irruption soudaine dans les situations les plus banales de son existence quotidienne. Sans doute vers la même époque, témoigne Mariangela Oggianu,
Je surpris la Servante de Dieu dans l'église, elle aurait dû être agenouillée, mais elle se tenait au contraire soulevée à une vingtaine de centimètres au-dessus du prie-Dieu, sans appui d'aucune sorte. Elle avait les mains jointes, les yeux levés vers le ciel, et était absorbée en prière. Une femme du pays, à présent défunte, la nommée Elena Sanna, voulut en avoir la preuve en la touchant. Elle prit Edvige par un bras, celle-ci la suivit jusqu'à l'autel, puis revint au prie-Dieu où elle se souleva de nouveau au-dessus du sol 5.
Le phénomène accompagna Edvige durant toute sa vie, avec une telle fréquence que les procès informatifs en vue de sa béatification nous proposent sur ce point nombre de témoignages circonstanciés.
Assez semblables, par le contexte et les réactions qu'elles suscitèrent, sont les lévitations de la Vénérable Eusebia Palomino Yenes (1899-1935), religieuse espagnole des Filles de Marie Auxiliatrice :
Une fillette entra dans la chapelle [...] Regardant soeur Eusebia, elle fut épouvantée, car celle-ci était soulevée à une palme au-dessus du sol, fixant le crucifix. La petite se mit à pleurer et sortit en courant, criant : « Soeur Eusebia va tomber, soeur Eusebia va tomber ! » Dieu voulut que passât alors soeur Carmen Moreno, qui se rendit compte rapidement de ce qui arrivait soeur Eusebia et lui ordonna de redescendre. Très docile à la voix de l'obéissance, celle-ci revint à elle en posant le pied sur le pavement et, levant les yeux vers sa supérieure, elle la supplia de ne rien dire à personne de ce qui venait de se produire 6.
De semblables prodiges sont relatés dans la biographie du Vénérable Felice Maria Ghebre Amlak (1885-1934), cistercien d'origine érythréenne mort en Italie. Peu avoir été ordonné prêtre en 1918, et se trouvant encore dans son pays natal, il fut régulièrement sujet à des lévitations lors de la célébration de l'eucharistie :
Au commencement de la messe, aux paroles Ahadú ab Kedus (Toi seul es le Saint), Haïlé Mariam [nom du Vénérable dans sa langue] se soulevait de terre 7.
Le servant de messe en était saisi d'une crainte révérencielle, et après s'être incliné, il se retirait pour cacher son émotion. Ce témoignage en est un parmi nombre d'autres signalant la fréquence du phénomène dans cette existence relativement brève, alors que le bienheureux André Bessette, religieux de Sainte-Croix à Montréal mort à l'âge de 82 ans en 1937, semble n'avoir été durant sa longue vie que rarement sujet à la lévitation :
Ce vieillard [Moïse Poirier] attesta avec le plus grand sérieux, et en pleine connaissance qu'il paraîtrait bientôt devant Dieu, qu'un jour il était allé voir le Frère André et qu'il avait partagé la chambrette au-dessus de la chapelle. Or, par deux fois, il avait vu le Frère André s'élever au-dessus de son lit8.
La réalité de faits du même ordre a été prouvée indubitablement chez d'autres saints personnages du XX° siècle.
En voici un dernier exemple, signalé par un saint qui en fut le témoin :
Je pourrais jurer que j'ai vu frère Ave Maria soulevé de terre, à peu près à cette hauteur [environ 40 cm], pendant qu'il était à lire l'Imitation du Christ. J'étais entré silencieusement dans sa cellule, la porte était à demi ouverte, et je l'ai surpris dans cette situation [...] J'attendis un peu, admirant le phénomène extraordinaire, puis je sortis sans que frère Ave Maria s'aperçût de rien. Je ne serais pas étonné qu'il fît des miracles 9.
Nous devons ce témoignage au bienheureux Luigi Orione (1872-1940), fondateur de la congrégation à laquelle appartenait le Vénérable Cesare Pisano (1900-1964), en religion frère Ave Maria).
Tradition hagiographique et signification spirituelle
Miracle assez fréquent et fort ancien dans la tradition hagiographique chrétienne, la lévitation se rencontre à peu près dans toutes les aires socio-religieuses depuis l'Antiquité :
Il est bien connu que, depuis le temps de Jamblique, et même plus tôt, jusqu'à celui de D. D. Home, un nombre considérable de personnes, sans aucune prétention à la sainteté, sont réputées avoir été l'objet de phénomènes de lévitation 10.
Est-ce en raison de cette fréquence que le prodige, pourtant extraordinaire, heurte moins que d'autres nos mentalités pétries de cartésianisme ? Témoin l'anecdote suivante : une personne avait le plus grand mal à admettre que Jésus ait marché sur les eaux du lac de Tibériade, mais elle était tout à fait disposée à concevoir que cela fût possible dès lors qu'il s'agissait d'un phénomène de lévitation qui eût maintenu son corps soulevé à fleur d'onde. Parce qu'elle est un prodige plus objectif que tous les autres, la lévitation est plus crédible. Et parce que nous savons plus ou moins qu'elle existe dans les spiritualités orientales. Or, dans l'épisode de la marche sur les eaux, il s'agit d'un phénomène d'un tout autre ordre : le pouvoir sur les éléments.
Peut-être Hélène Renard est-elle trop tributaire de l'esprit critique d'Olivier Leroy et des limites qu'il a imparties à sa remarquable étude sur la lévitation, lorsqu'elle écrit :
De tous les prodiges mystiques, la lévitation est le moins fréquent (Olivier Leroy compte 60 lévitants pour 14 000 saints - en n'ayant lu que les dix premiers mois des Acta Sanctorum, ce qui ferait à peine 0,6 %) 11.
- "